Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/65

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Angleterre. À dix heures il ne restait pas dans la ville une seule maison dont la porte fût ouverte, et il est infiniment probable que, moins d’une heure après, le sommeil avait fermé tous les yeux qui avaient été aux aguets pendant toute la journée, non seulement pour veiller aux intérêts personnels de chaque habitant, mais encore pour s’occuper charitablement, dans les momens perdus, des affaires du reste du voisinage.

L’aubergiste de l’Ancre Dérapée (c’est ainsi qu’on nommait l’auberge où Fid et Nightingale avaient été si près d’en venir aux coups) fermait scrupuleusement sa porte à huit heures, sorte d’expiation par laquelle il s’efforçait de réparer en dormant les petites peccadilles morales qu’il pouvait avoir commises pendant le jour. On pouvait du reste observer, comme règle générale, que ceux qui avaient le plus de peine à conserver une bonne réputation, sous le rapport de la sobriété et de la tempérance, étaient les plus exacts à se retirer en temps convenable du tumulte et des affaires de ce monde. La veuve de l’amiral n’avait pas donné peu de scandale dans son temps, parce que l’on voyait toujours de la lumière dans sa maison long-temps après l’heure fixée par l’usage pour l’éteindre. Il y avait bien encore quelques autres points sur lesquels la bonne dame s’était exposée aux caquets de plusieurs de ses voisines. Appartenant au culte épiscopal, elle ne manquait jamais de prendre son aiguille le samedi soir, quoique les autres jours elle ne travaillât presque jamais. C’était une manière de manifester sa conviction que la soirée du dimanche était la soirée orthodoxe du sabbat. Il se livrait même de temps en temps à ce sujet de petites escarmouches entre elle et la femme du principal ecclésiastique de la ville. Heureusement les hostilités n’étaient jamais poussées bien loin. Cette dernière se contentait de protester en venant le dimanche soir chez la douairière avec son ouvrage, et en interrompant de temps en temps la conversation pour faire jouer activement son aiguille pendant cinq à six minutes. Mrs de Lacey, pour se préserver du danger de la contagion, ne prenait d’autre précaution que de jouer de son côté avec les feuilles d’un livre de prières, exactement d’après le principe qui fait employer de l’eau bénite pour tenir le diable à la distance que l’Église juge la plus sûre pour ses prosélytes[1].

  1. Les puritains croient que le sabbat commence au soleil couchant le samedi et finit à la même heure le dimanche. Aussi la soirée du dimanche, dans toute la Nouvelle-Angleterre, est-elle plutôt observée comme une fête, tandis que celle du samedi est soumise aux plus rigides observances. L’auteur eut un jour une discussion sur ce point avec un théologien de la Nouvelle-Angleterre. Ce dernier ne pouvait pas s’appuyer sur d’importans exemples de la Bible, mais il remarquait avec justesse qu’il y avait quelque chose de conscient et de solennel dans l’idée que toute la chrétienté observait le saint sabbat, exactement dans le même temps. Il est inutile d’ajouter qu’on aurait pu lui objecter qu’outre que cet usage n’est particulier qu’à certaines sectes, on ne peut aller ni à l’orient ni à l’occident sans qu’une différence sensible dans les heures vienne détruire ce calcul. — Éd.