Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/69

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d’un marin. Vergues, mâts, espars[1], cordages, rien n’échappa à son observation ; et quand l’éloignement eut confondu toutes les parties pour n’en faire qu’une seule masse sombre et informe, il resta long-temps la tête penchée hors de sa petite barque, et parut faire de profondes réflexions. Pour cette fois, Fid n’eut pas même la pensée de l’interrompre ; il le croyait absorbé par les devoirs de sa profession, et tout ce qui était relatif à ces devoirs avait quelque chose de sacré à ses yeux. Scipion était silencieux par habitude. Après être resté plusieurs minutes dans cette position, Wilder releva tout à coup la tête, et dit brusquement :

— C’est un grand vaisseau, et un vaisseau qui soutiendrait long-temps chasse !

— C’est selon, répondit Fid empressé. S’il avait l’avantage du vent, et qu’il mît toutes voiles dehors, un croiseur du roi pourrait avoir de la peine à s’approprier assez pour jeter le grappin sur ses ponts, mais qu’il soit obligé de carguer, et je vous réponds alors de le prendre d’arrière, et…

— Camarades, dit Wilder en l’interrompant, il est maintenant à propos que je vous instruise de mes projets. Voilà plus de vingt ans que nous sommes ensemble, toujours sur le même vaisseau, je pourrais presque dire à la même table. Je n’étais qu’un enfant, Fid, lorsque vous m’apportâtes dans vos bras au commandant de votre vaisseau, et que non-seulement je vous dus la vie, mais que je me trouvai encore par vos soins sur la route de l’avancement.

— Ah ! c’est vrai, maître Harry, que vous ne teniez pas beaucoup de place dans ce temps-là, et qu’il ne vous fallait pas un bien grand hamac.

— Je vous dois beaucoup, Fid, beaucoup en vérité pour cet acte généreux, et aussi, je puis le dire, pour votre attachement inébranlable à ma personne depuis cette époque.

— C’est encore vrai, maître Harry, que j’ai été assez inébranlable dans ma conduite, attendu que je n’ai jamais lâché prise, quoique vous ayez juré si souvent de me jeter à terre. Quant à Guinée que voici, qu’il ait le vent debout ou arrière, le temps est toujours beau pour lui auprès de vous, tandis qu’à tous momens il faut que, pour une misère, il s’élève quelque bourrasque entre nous deux, témoin cette petite affaire au sujet de la barque…

  1. Espars. Ce mot qui revient souvent est un mot générique qui peut suffire pour exprimer les mâts et les vergues. Éd.