Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/87

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— Pour naviguer simplement, je suis aussi fantasque qu’une fille de quinze ans dans le choix de ses rubans. J’en change souvent douze fois par jour. Combien de dignes vaisseaux marchands sont entrés dans le port en racontant qu’ils venaient de rencontrer, l’un un bâtiment hollandais, l’autre un danois, auquel ils avaient parlé à l’entrée, et tous deux avaient raison ! Quand il s’agit de se battre, c’est autre chose ; et quoique parfois aussi je me laisse aller à un caprice, cependant il est une bannière que j’affectionne particulièrement.

— Et c’est… ?

Le capitaine resta un moment la main posée sur le pavillon qu’il avait touché, et qui était encore roulé dans le tiroir, et on eût dit qu’il lisait jusqu’au fond de l’âme du jeune marin, tant le regard qu’il lançait sur lui était vif et perçant. Alors, prenant le rouleau fatal, il le déplia tout à coup, et montrant un champ rouge sans aucune espèce d’ornement ou de bordure, il répondit avec emphase :

— Le voici !

— C’est la couleur d’un corsaire !

— Oui, il est rouge ! Je l’aime mieux que vos sombres champs tout noirs, avec des têtes de mort, et autres sottises bonnes pour effrayer les enfans. Il ne menace point, seulement il dit : Voilà le prix auquel on peut m’acheter ! Monsieur Wilder, ajouta-t-il en perdant cette expression ironique et plaisante que sa figure avait conservée jusqu’alors pour prendre un air de dignité, nous nous entendons l’un l’autre. Il est temps que chacun de nous navigue sous les couleurs qui lui sont propres. Je n’ai pas besoin de vous dire qui je suis.

— Je crois en effet que cela est inutile, dit Wilder ; à ces signes palpables, je ne puis douter que je ne sois en présence du… du…

— Du Corsaire Rouge, dit le capitaine en remarquant qu’il hésitait à prononcer ce nom terrible ; il est vrai, et j’espère que cette entrevue sera le commencement d’une amitié solide et durable. Je ne puis m’en expliquer la cause ; mais du moment où je vous ai vu, un sentiment aussi vif qu’indéfinissable m’a attiré vers vous. J’ai senti peut-être le vide que ma position a formé autour de moi ; quoi qu’il en soit, je vous reçois à cœur et à bras ouverts.

Quoiqu’il fût très évident, d’après ce qui avait précédé cette