Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/129

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pour prouver que le soupçon qui tourmentait le plus son esprit était que les agents du gouvernement allaient reparaître à la suite de l’étranger ; mais malgré la probabilité de cette conjecture, il avait un secret pressentiment que les sons qu’il avait entendus n’étaient point d’une origine terrestre. Toutes les légendes et les preuves les plus évidentes en fait de prestiges, connues dans les colonies de la Nouvelle-Angleterre, démontraient que les esprits de ténèbres se complaisaient à jouer des tours malicieux ou à tourmenter de quelque manière que ce fût ceux qui mettaient leur confiance dans une religion odieuse aux enfants de l’enfer. Sous l’influence des impressions excitées naturellement par les communications du voyageur de la montagne, l’esprit d’Ében Dudley était partagé entre la crainte de voir un de ces hommes qu’il avait engagés avec si peu de cérémonie à quitter la vallée, revenir de nouveau s’établir dans l’habitation, et celle d’être à regret le témoin de la manifestation du pouvoir qui était momentanément confié aux esprits invisibles. Il était destiné à se tromper dans ces deux conjectures. Malgré le penchant de la sentinelle crédule pour les objets surnaturels, il y avait dans la composition de son être des matières trop grossières pour l’élever au-dessus des faiblesses de l’humanité. Son esprit accablé se lassa bientôt de ses contemplations, affaibli par ses propres efforts. La matière reprit insensiblement son empire ; ses pensées, loin d’être claires et actives comme la circonstance l’eût exigé, se couvrirent peu à peu d’un voile épais. Une ou deux fois l’habitant des frontières se souleva à moitié, et parut regarder autour de lui d’un œil observateur ; puis, lorsque la masse de son corps se penchait de nouveau, il retrouvait sa première tranquillité. Ce mouvement fut répété plusieurs fois à des intervalles qui s’éloignaient de plus en plus, enfin, au bout d’une heure, oubliant la chasse, les soldats et les mystérieux agents du mal, le jeune homme céda aux fatigues de la journée. Les chênes de la forêt voisine n’étaient pas plus immobiles que le corps de Dudley appuyé contre les planches de l’étroite guérite.

Combien de temps s’écoula-t-il pendant ce sommeil ? Ében ne put jamais précisément en rendre compte. Il soutint toujours fermement qu’il ne dormit pas longtemps, car son repos ne fut pas troublé par ces sons qui se font entendre quelquefois dans les bois pendant l’obscurité des nuits, et qu’on pourrait appeler les soupirs de la forêt pendant son sommeil. Son premier sou-