Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/323

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paraissant faire aucun effort pour conserver l’admirable tranquillité de ses traits. Un long silence succéda ; alors le solitaire fit entendre sa voix.

— Nous nous sommes fait un ami du chef narragansett, dit-il, et la ligue qu’il avait formée avec Philippe est rompue.

— Yengeese, répondit l’Indien, mes veines sont remplies du sang des sachems.

— Pourquoi les Indiens et les blancs se feraient-ils la guerre ? Le monde est grand, et il y a de la place pour les hommes de toutes les couleurs et de toutes les nations sur sa surface.

— Mon père en a trouvé bien peu, dit l’Indien en jetant un regard expressif sur les limites resserrées de la demeure de son hôte. Ce regard trahissait toute l’ironie qu’il y avait dans ces paroles, mais il s’y mêlait en même temps un air d’intérêt.

— Un esprit léger, un prince vain est assis maintenant sur le trône d’une nation jadis religieuse, et les ténèbres se sont répandues sur une terre qui brillait d’une lumière éclatante ! Les justes sont obligés de fuir la demeure de leur enfance, et les temples des élus sont abandonnés aux abominations de l’idolâtrie. Ô Angleterre ! Angleterre ! quand ta coupe d’amertume sera-t-elle remplie ? quand ce jugement s’éloignera-t-il de toi ? Mon esprit gémit sur ta chute, mon âme est attristée du spectacle de ta misère.

Conanchet était trop délicat pour arrêter ses regards sur les yeux ardents et le front animé de l’orateur, mais il écoutait dans l’étonnement de son ignorance. De telles expressions avaient souvent autrefois frappé son oreille ; et bien que sa jeunesse eût peut-être empêché alors qu’elles aient produit aucun effet, maintenant qu’il les entendait dans la force de l’âge, il ne pouvait encore en comprendre le sens. Tout d’un coup il posa un doigt sur le genou de son compagnon, et dit :

— Le bras de mon père était levé aujourd’hui en faveur des Yengeeses, et cependant ils ne lui donnent point de siège au conseil de feu !

— L’homme pécheur qui gouverne dans l’île d’où vient mon peuple, dit le solitaire, a un bras aussi long que son esprit est vain. Quoique exclue des conseils de cette vallée, chef, il y eut un temps où ma voix fut entendue dans des conseils qui portèrent un coup fatal à la race de ce prince. Mes yeux ont vu rendre justice à celui qui a donné naissance à cette langue double, instru-