Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/327

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Malgré la chaleur de ses affections et son dévouement à tous les devoirs de sa position, Ruth Heathcote avait appris depuis longtemps à maîtriser jusqu’aux émotions les plus naturelles. Les premiers transports de joie et de reconnaissance étaient passés ; ils avaient été remplacés par la sollicitude et la vigilance que les événements qui venaient d’avoir lieu devaient naturellement produire. Les doutes, les pressentiments et même les craintes effrayantes qui la tourmentaient étaient cachés sous une apparence de satisfaction, et l’on voyait sur son front, qui avait été si longtemps obscurci par le chagrin, quelque chose qui ressemblait aux rayons du bonheur.

— Tu te rappelles ton enfance, ma chère Ruth, dit la mère lorsqu’un silence suffisamment long eut succédé à la prière. Nous n’avons pas été entièrement étrangers à tes pensées, et la nature a eu sa place dans ton cœur. Raconte-nous, mon enfant, tes courses errantes dans la forêt, et les souffrances que dans un âge si tendre tu as dû éprouver au milieu d’un peuple barbare. Nous aurons du plaisir à écouter tout ce que tu as vu et senti, maintenant que nous savons que tes malheurs sont passés.

Ruth Heathcote s’adressait à une oreille qui était sourde à un semblable langage. Narra-Mattah comprenait ses paroles ; mais leur sens était enveloppé d’obscurité, elle ne désirait ni n’était capable de le comprendre. Ses regards, dans lesquels on lisait en même temps le plaisir et la surprise, étaient arrêtés sur le visage affectueux de sa mère. Tout à coup elle chercha dans les plis de son vêtement avec précipitation, et en tira une ceinture qui était richement ornée suivant la mode ingénieuse de son peuple adoptif. Elle s’approcha de sa mère, moitié chagrine, moitié contente, et ses mains, qui tremblaient également de timidité et de plaisir, arrangèrent cette ceinture autour de la taille de Ruth, de manière à montrer toute la richesse de son travail. Satisfaite de son action, la jeune femme, sans art, cherchait avec ardeur des signes d’approbation dans des yeux qui n’exprimaient que le regret. Alarmée d’une expression qu’elle ne pouvait comprendre, Narra-Mattah porta ses regards autour d’elle, comme si elle cherchait une protection contre un sentiment qui lui était étranger. Whittal Ring s’était glissé dans la chambre, et la jeune femme ne trouvant devant ses yeux aucun objet qui lui rappelât sa demeure chérie, fixa ses regards sur l’idiot vagabond. Elle lui montra l’ouvrage que ses mains venaient d’accomplir,