Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/50

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sentaient à l’imagination de la jeune femme l’image de la panthère aux yeux de feu, ou peut-être d’un Indien errant, qui, bien que plus artificieux, était presque aussi sauvage. Il est vrai que beaucoup de personnes avaient déjà éprouvé l’horreur de semblables sensations sans avoir jamais aperçu la réalité d’aussi effrayants tableaux. Cependant aussi les faits ne manquaient pas pour fournir un motif suffisant à des craintes bien fondées.

Des histoires de combats avec des bêtes féroces, de massacres commis par des Indiens errants et sans lois, étaient les légendes les plus touchantes de la frontière. Les trônes pouvaient être renversés, les royaumes gagnés ou perdus dans l’Europe lointaine, et ceux qui habitaient ces cantons parlaient moins de ces événements que d’une scène qui s’était passée au milieu de leurs bois, et qui avait exercé le courage, la force et l’adroite intelligence d’un planteur. Une telle histoire passait de bouche en bouche avec la rapidité que lui donnait le puissant intérêt personnel, et plusieurs étaient déjà transmises des pères aux enfants sous la forme de traditions, jusqu’à ce que, comme dans les sociétés plus civilisées, où de graves invraisemblances se glissent dans les pages obscures de l’histoire, l’exagération vînt s’unir trop étroitement à la vérité pour en être jamais séparée.

Guidé par ses souvenirs, ou peut-être par une prudence qui ne l’abandonnait jamais, Content avait jeté sur son épaule une arme éprouvée ; et lorsqu’il atteignit l’éminence sur laquelle son père avait rencontré l’étranger, Ruth l’aperçut penché sur le cou de son cheval, et glissant au milieu des ténèbres de la nuit, semblable aux images fantastiques de ces esprits qui parcourent l’espace, emportés par le galop rapide d’un coursier, et qui figuraient si souvent dans les légendes du continent oriental.

À cette passagère apparition succédèrent des moments longs et pénibles, pendant lesquels ni la vue ni l’ouïe ne purent aider les conjectures de la femme attentive. Elle écoutait sans respirer ; une ou deux fois elle crut entendre que les pieds du cheval frappaient la terre avec plus de force et de précipitation ; mais ce fut seulement lorsque Content monta la pente rapide de la montagne, que Ruth put l’apercevoir avant qu’il s’enfonçât sous le couvert des forêts.

Quoique la jeune femme fût habituée aux inquiétudes des frontières, peut-être n’avait-elle jamais connu de moment plus pénible que celui où la figure de son mari disparut derrière l’épais