Ah ! C’est toi ? Rien ne va. Comment veux-tu que ça aille ? Je suis crevé.
Tu sais bien qu’au dernier moment tout s’arrange.
Tu parles comme le patron. Lui aussi, il se figure toujours que tout s’arrangera. Tu sais comme il est : c’est un homme qui ne connait pas la réalité. C’est à dire : il ne veut pas la connaître, il ne veut pas qu’il y ait des choses qu’on ne puisse pas faire. Il te commande un travail que tu crois comprendre, que tu trouves beau et logique, bien défini, que tu aimes déjà. Tu l’exécutes. La réalisation, pour le patron, c’est ce qui lui sert à penser à autre chose. Il a bien la réalité sous ses pieds, mais comme un tremplin, pour la repousser du pied. Et puis, vois-tu, il croit que ses forces sont inépuisables, et ça n’est pas vrai. Il y a des moments où rien ne sort plus de lui. C’est comme un trou noir où je m’enfonce. Et alors, on croit tout perdu.
Mais tout renaît l’instant d’après. Tu l’avais laissé morne, découragé, sans vie, et soudain tu l’aperçois marchant d’un pas allègre, sans fièvre, radouci, et voyant devant lui des choses nouvelles.
Oui, neuf. Et on s’y remet, et on irait jusqu’au bout du monde, parce qu’il a l’air d’être sûr de lui et de nous. Et on l’aime parce qu’il vous entraîne. Mais il y a des jours où on le déteste, parce qu’on voudrait bien rester tranquille un peu.
Je crois qu’il nous aime bien.
Sûr. Malheureusement, depuis deux jours, c’est le trou noir. Il répond impatiemment à tout ce qu’on lui demande, ou bien il ne répond pas du tout. Ce matin nous avons eu