Page:Coppée - Œuvres complètes, Prose, t1, 1892.djvu/167

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tendre. Mais voilà que les îles s’allongeaient et se transformaient en serpents de lumière, en poissons de feu ; et, tout à coup, sans qu’on s’en fût aperçu, d’autres nuages s’étaient formés, plus loin, à droite, à gauche, partout, ébauchant des chimères fugitives, se revêtant de tons à désespérer Véronèse, construisant et détruisant à la hâte des Babels aériennes. Il y en avait d’énormes, dont les plans s’enfonçaient dans le lointain avec des perspectives d’architecture ; un gros nuage, d’un brun violacé, se tordait comme un crocodile en ouvrant une gueule monstrueuse, et là-haut, toute seule, une petite nuée, pure comme une vierge, semblait une fleur s’épanouissant dans l’infini.
Un omnibus traversait alors le pont Royal ; il était complet, et tout un rang de voyageurs de l’impériale était placé juste en face du merveilleux crépuscule. Mais il se passait alors un événement à sensation — triple assassinat ou crise ministérielle — et tous ces hommes assis lisaient le journal du soir, mettant la banalité d’un premier-Paris ou l’horreur d’un fait-divers entre leurs regards et les sublimes féeries du couchant.
Le soleil était vaincu ; mais, avant de disparaître tout à fait, il tenta un suprême effort contre l’indif-