Page:Coppée - Œuvres complètes, Prose, t1, 1892.djvu/67

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d’une échéance, et n’adressant à sa femme que quelques mots brefs et durs ; il savait les interminables soirées qu’avant de connaître Mme  Henry, Eugénie avait passées, dans la chambre nuptiale à peine meublée, à coudre auprès d’une bougie et à attendre l’heure de minuit, où son mari revenait enfin de l’estaminet, sa vareuse marquée de blanc de billard, empoisonnant le vin chaud et vidant, avant de se coucher, les cendres de sa dernière pipe sur le marbre du foyer. Parmi les hasards de la conversation, Gabriel avait saisi, dans un soupir, dans un regard jeté au ciel, dans un sourire ironiquement douloureux, tout ce qu’Eugénie comptait déjà de souffrances subies et de larmes dévorées en secret. Quelle torture alors pour le pauvre amoureux ! Et se dire que c’était sans remède, qu’elle était mariée ! Sentir toute compassion inutile, toute colère impuissante !

Il avait cependant une consolation ; il s’apercevait qu’Eugénie trouvait quelque charme à ces paisibles heures de causerie et de travail qui les réunissaient tous les trois chez Mme  Henry. Il ne se doutait pas, le simple, et Eugénie elle-même ne se rendait certainement pas bien compte du plaisir intime qu’elle éprouvait à se sentir admirée et aimée