Page:Coppée - Discours de réception, 1884.djvu/57

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faut posséder à fond son métier ; mais le sentir ne s’apprend pas. L’artiste appartient à une école comme à une grande église où il communie avec ses frères, mais dont il interprète le dogme à sa façon ; car le vrai talent est une hérésie personnelle, et pour être original, il faut être quelqu’un. Je ne vous étonnerai pas, Monsieur, en vous assurant que vous êtes quelqu’un.

Ce qui vous est bien personnel, c’est le tour d’esprit qui se révèle dans la plupart de vos œuvres, le penchant que vous avez à mêler toujours le bon sens à la fantaisie. En toute chose vous avez lé goût de la justesse, de la mesure ; vous vous tenez en garde contre l’exagération, qui, malgré nos prétentions à la vérité vraie, est notre grande maladie littéraire. Oratio maculosa et turgida, disait Pétrone. Quoique vous ayez raconté plus d’une fois de sombres histoires, vous n’êtes pas de la race des emphatiques, ni de la famille des plaintifs et des dolents. Je l’ai déjà dit, dans ce siècle de pessimistes, vous êtes, en somme, un poète de belle humeur. Cependant, dès votre jeune âge, vous avez connu les sévérités de la vie et du devoir, et vous avez eu besoin de beaucoup de vaillance pour vous ouvrir votre chemin. Quand votre père mourut, vous aviez vingt ans ; il vous léguait, avec le souvenir de sa vertu, une famille à faire vivre. Vous eûtes dès lors charge d’âmes, et au travail que vous aimiez il fallut joindre un métier qui vous plaisait moins. Employé dans un ministère, vous aviez peu de loisirs ; vous preniez sur vos nuits, sur votre santé, pour sacrifier au démon qui vous possédait. Vous avez brûlé, dit-on, trois mille vers de jeunesse, et vous avez publié le