Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 1.djvu/581

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DÉBOUCHÉS. Un débouché est proprement une ouverture faite à la vente de certains produits. On dit qu’un négociant cherche des débouchés pour ses marchandises, quand il est en quête des lieux où il pourra les vendre ; qu’il trouve ses débouchés au dehors, quand c’est ordinairement au dehors que ses produits s’écoulent. Ouvrir des débouchés à un pays, c’est lui donner l’occasion d’entamer avec d’autres pays des relations commerciales, qui lui offriront de nouveaux moyens de vente.

Il semblerait que ce sujet ne pût donner lieu à aucun développement vraiment économique. Mais J.-B. Say l’a presque élevé à la hauteur d’une théorie par les considérations à la fois ingénieuses et solides qu’il a trouvé moyen d’y rattacher. Nous reproduisons ses réflexions avec d’autant plus de plaisir, qu’elles ont été goûtées et appréciées par tous les économistes.

« Dans l’impossibilité où la division des travaux met les producteurs de consommer au delà d’une petite partie de leurs produits, ils sont forcés de chercher des consommateurs à qui ces produits puissent convenir. D faut qu’ils trouvent ce qu’en termes de commerce on appelle des débouchés, des moyens d’effectuer l’échange des produits qu’ils ont créés contre ceux dont ils ont besoin. Il leur est important de connaître comment ces débouchés leur sont ouverts.

« Tout produit renferme en lui-même une utilité, une faculté de servir à la satisfaction d’un besoin. Il n’est un produit qu’en raison de la valeur qu’on lui a donnée ; et l’on n’a pu lui donner de la valeur qu’en lui donnant de l’utilité. Si un produit ne coûtait rien, la demande qu’on en ferait serait, par conséquent, infinie ; car personne ne négligerait une occasion de se procurer ce qui peut ou pourra servir à satisfaire ses désirs, lorsqu’il suffirait de le souhaiter pour le posséder. Si tous les produits quelconques étaient dans le même cas, et que l’on pût les avoir tous pour rien, il naîtrait des hommes pour les consommer ; car les hommes naissent partout où ils peuvent obtenir les choses capables de les faire subsister. Les débouchés qui s’offriraient pour eux seraient immenses. Ils ne sont réduits que par la nécessité où se trouvent les consommateurs de payer ce qu’ils veulent acquérir. Ce n’est jamais la volonté d’acquérir qui leur manque : c’est le moyen.

« Or, ce moyen, en quoi consiste-t-il ? C’est de l’argent, s’empressera-t-on de répondre. J’en conviens ; mais je demande, à mon tour, par quels moyens cet argent arrive dans les mains de ceux qui veulent acheter ; ne faut-il pas qu’il soit acquis lui-même par la vente d’un autre produit ? L’homme qui veut acheter doit commencer par vendre, et il ne peut vendre que ce qu’il a produit, ou ce qu’on a produit pour lui. Si le propriétaire foncier ne vend pas par ses propres mains la portion de récolte qui lui revient à titre de propriétaire, son fermier la vend pour lui. Si le capitaliste, qui a fait ses avances à une manufacture pour en toucher les intérêts, ne vend pas luimême une partie des produits de la fabrique, le manufacturier les vend pour lui. De toutes manières c’est avec des produits que nous achetons ce que d’autres ont produit. Un bénéficier, un pensionnaire de l’État eux-mêmes, qui ne produisent rien, n’achètent une chose que parce que des choses ont été produites, dont ils ont profité.

« Que devons-nous conclure de là ? Si c’est avec des produits que l’on achète des produits, chaque produit trouvera d’autant plus d’acheteurs, que tous les autres produits se multiplieront davantage. Comment voit-on maintenant acheter en France huit ou dix fois plus de choses qu’il ne s’en achetait sous le règne misérable de Charles VI ? Qu’on ne s’imagine pas que c’est parce qu’il y a plus d’argent ; car si les mines du nouveau monde n’avaient pas multiplié le numéraire, il aurait conservé son ancienne valeur ; elle se serait même augmentée ; l’argent vaudrait peutêtre ce que l’or vaut à présent ; et une plus faible quantité d’argent nous rendrait le même service que nous rend maintenant une quantité plus considérable, de même qu’une pièce d’or de 20 francs nous rend autant de services que quatre pièces de 5 francs. Qu’est-ce donc qui met les Français en état d’acheter dix fois plus de choses, puisque ce n’est pas la plus grande quantité d’argent qu’ils possèdent ? C’est qu’ils produisent dix fois plus. Toutes ces choses s’achètent les unes par les autres. On vend en France plus de blé, parce qu’on y fabrique du drap et beaucoup d’autres choses en quantité beaucoup plus grande. Des produits même inconnus à nos ancêtres y sont achetés par d’autres produits, dont ils n’avaient aucune idée. Celui qui produit des montres (qu’on ne connaissait pas sous Charles VI) achète avec ses montres des pommes de terre (qu’on ne connaissait pas davantage).

« C’est si bien avec des produits que l’on achète des produits, qu’une mauvaise récolte nuit à toutes les ventes. Certes, un mauvais temps qui a détruit les blés ou les vins de l’année n’a pas, à l’instant même, détruit le numéraire. Cependant la vente des étoffes en souffre à l’instant même. Les produits du maçon, du charpentier, du couvreur, du menuisier, etc., sont moins demandés. Il en est de même des récoltes faites par les arts et le commerce.

« Quand une branche d’industrie souffre, d’autres souffrent également. Une industrie qui fructifie, au contraire, en fait prospérer d’autres.

« La première conséquence que l’on peut tirer de cette importante vérité, c’est que, dans tout État, plus les producteurs sont nombreux et les productions multipliées, et plus les débouchés sont faciles, variés et vastes. Dans les lieux qui produisent beaucoup, se crée la substance avec laquelle seule on achète : je veux dire la valeur. L’argent ne remplit qu’un office passager dans ce double échange. Après que chacun a vendu ce qu’il a produit et acheté ce qu’il veut consommer, il se trouve qu’on a toujours payé des produits avec des produits.

« Vous voyez, messieurs, que chacun est inté-