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une définition plus satisfaisante que celles qui ont été données jusqu’à présent, une formule à la fois plus compréhensive et plus nette, où la science se reflétât pour ainsi dire tout entière dans quelques mots. La trouvera-t-on cette formule ? Peut-être. Sans nous flatter d’y parvenir dès à présent, nous allons essayer du moins de mettre sur la voie, en déterminant autant que possible l’objet réel que ta science se propose et l’étendue de son domaine.

Mais une première question est à résoudre, celle de savoir si l’économie politique appartient à la catégorie des sciences, ou seulement à la catégorie des arts. On a pu voir déjà, par ce qui précède, que cette question n’est pas oiseuse : elle l’est d’autant moins, que la distinction à faire entre la science et l’art ne paraît pas généralement comprise.


II. À quel ordre de travaux appartient l’économie politique ? Est-ce une science ? Est-ce un art ?


« Un art, dit M. Destutt de Tracy, est la collection des maximes ou préceptes pratiques dont l’observation conduit à faire avec succès une chose quelle qu’elle soit ; et une science consiste dans les vérités qui résultent de l’examen d’un sujet quelconque[1]. » L’art consiste donc dans une série de préceptes ou de règles à suivre ; la science, dans la connaissance de certains phénomènes ou de certains rapports observés et révélés. Il ne s’agit pas ici, on le comprend, d’examiner lequel des deux, de l’art ou de la science, est supérieur à l’autre ; ils peuvent avoir des mérites égaux, chacun à sa place ; il s’agit uniquement de montrer en quoi ils diffèrent quant à leur objet et à leur manière de procéder. L’art conseille, prescrit, dirige ; la science observe, expose, explique. Quand un astronome observe et décrit le cours des astres, il fait de la science ; mais quand, ses observations une fois faites, il en déduit des règles applicables à la navigation, il fait de l’art. Il peut avoir également raison dans les deux cas ; mais son objet est différent, aussi bien que sa manière de procéder. Ainsi, observer et décrire des phénomènes réels, voilà la science : dicter des préceptes, prescrire des règles, voilà l’art.

L’art et la science ont souvent entre eux, on le conçoit, d’étroites liaisons, en ce sens surtout que les préceptes de l’art doivent autant que possible dériver des observations de la science ; mais ils n’en sont pas moins différents. Tous les jours cependant on les confond. Tel qui travaille à l’édification d’un art lui donne emphatiquement le nom de science, croyant par la donner une plus haute idée de la rectitude de ses préceptes. C’est notamment le faible des médecins d’appeler la médecine une science. Ils se trompent pourtant quant à l’emploi des mots. La médecine, fut-elle aussi sûre de ses prescriptions qu’elle l’est peu, ne serait toujours qu’un art[2], l’art de guérir, puisqu’elle consiste en une collection de règles applicables à la guérison des maladies humaines. Mais l’anatomie est une science ; la physiologie est une science, parce que l’anatomie et la physiologie ont toutes les deux pour objet la connaissance du corps humain, qu’elles étudient, l’une dans sa contexture, l’autre dans le jeu de ses organes.

M. Rossi avait bien saisi cette distinction entre la science et l’art, quoiqu’il en ait fait abus, en la confondant mal à propos avec celle que l’on fait assez communément entre la théorie et la pratique[3]. « À proprement parler, dit-il, la science n’a pas de but. Dès qu’on s’occupe de l’emploi qu’on peut en faire, du parti qu’on peut en tirer, on sort de la science et on tombe dans l’art. La science, en toutes choses, n’est que la possession de la vérité, la connaissance réfléchie des rapports qui découlent de la nature des choses… » Voilà bien, sous une autre forme, la pensée si justement exprimée par M. Destutt de Tracy.

La distinction ainsi bien posée entre la science et l’art, nous avons à nous demander maintenant auquel de ces deux ordres d’idées l’économie politique appartient. Est-ce une collection de préceptes, une théorie d’action, ou bien un ensemble de vérités puisées à l’observation de phénomènes réels ? Enseigne-t-elle à faire, ou explique-t-elle ce qui se passe ? En d’autres termes, est-ce une science, est-ce un art ?

Il ne faut pas hésiter un seul instant à répondre que, dans son état actuel, l’économie politique est à la fois l’un et l’autre ; c’est-à-dire que, dans la direction des travaux et des études économiques, on donne encore aujourd’hui un nom commun à des choses qui pourraient et devraient être distinctes. Il est sensible, en effet, que dans les travaux des maîtres, dans les traités généraux composés depuis Adam Smith, il se rencontre un très grand nombre d’observations vraiment scientifiques, c’est-à-dire qui n’ont pas d’autre objet que de faire connaître ce qui se passe ou ce qui est. On peut même dire que là les observa-

  1. Éléments d’idéologie, IIe partie, introduction.
  2. On peut bien duc : les sciences médicales, parce que la médecine, l’art de guérir, s’éclaire de plusieurs sciences, particulièrement cultivées à son Intention l’anatomie, la physiologie, la pathologie, la thérapeutique, etc. ; mais ou ne peut pas dire la science de la médecine.
  3. La distinction très réelle que nous établissons entre la science et l’ait n’a rien de commun avec celle qu’on fait, à tort ou à raison, entre la théorie et la pratique. Il y a des théories d’art comme des théories de science, et c’est même des premières seulement qu’on peut dire qu’elles sont quelquefois en opposition avec la pratique. L’art dicte des règles, mais des règles générales, et il n’est pas déraisonnable de supposer que ces règles générales, fussent-elles justes, puissent se trouver en désaccord avec la pratique dans certains cas particuliers. Mais il n’en est pas de même de la science, qui n’ordonne rien, qui ne conseille rien, qui ne prescrit rien, qui se borne à observer et expliquer. En quel sens pourrait-elle jamais se trouver eu opposition avec la pratique ? Il y a, selon nous, dans le passage suivant de M. Rossi, une double erreur : « On a trop reproché à l’école de Quesnay son laissez-faire, laissez-passer. C’était la science pure. » Non, ce n’était pas la science pure, c’était, au contraire, de l’art, puisque, c’était une maxime, un précepte, une règle à suivre, et cela résulte de votre propre définition. Quant à la maxime en elle-même, quoiqu’elle soit susceptible comme toutes les règles générales, de beaucoup de restrictions dans la pratique, au lieu de dire, comme M. Rossi, qu’on l’a trop reprochée à l’école de Quesnay nous dirions qu’on ne l’a pas assez louée, parce qu’on ne l’a pas assez comprise. Mais nous y reviendrons.