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Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 2.djvu/275

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militaires, d’un conquérant, ou même l’effet de circonstances fortuites, peuvent influer sur leur manière d’exister, les rendre souffrantes ou les guérir, mais non les faire vivre. C’est si peu l’organisation artificielle qui produit cet effet, que c’est dans les lieux où elle se fait le moins sentir, où elle se borne à préserver le corps social des atteintes qui nuisent à son action propre et à son dévelopement, que les sociétés croissent le plus rapidement en nombre et en prospérité.

« L’organisation artificielle des nations change avec les temps et avec les lieux. Les lois naturelles qui président à leur entretien et opèrent leur conservation sont les mêmes dans tous les pays et à toutes les époques. Elles étaient, chez les anciens, ce qu’elles sont de nos jours ; seulement elles sont mieux connues maintenant. Le sang qui circule dans les veines d’un Turc obéit aux mêmes lois que celui qui circule dans les veines d’un Canadien ; il circulait dans celles des Babyloniens comme dans les nôtres ; mais ce n’est que depuis Harvey que l’on sait que le sang circule et que l’on connaît l’action du cœur. Les capitaux alimentaient l’industrie des Phéniciens de la même manière qu’ils alimentent celle des Anglais ; mais ce n’est que depuis quelques années que l’on connaît la nature des capitaux, et que l’on sait de quelle manière ils agissent et produisent les effets que nous observons ; effets que les anciens voyaient comme nous, mais qu’ils ne pouvaient expliquer. La nature est ancienne, la science est nouvelle.

« Or, c’est la connaissance de ces lois naturel les et constantes, sans lesquelles les sociétés humaines ne sauraient subsister, qui constitue cette nouvelle science que l’on a désignée sous le nom d’Économie politique. C’est une science parce qu’elle ne se compose pas de systèmes inventés, de plans d’organisation arbitrairement conçus, d’hypothèses dénuées de preuves ; mais de la connaissance de ce qui est, de la connaissance de faits dont la réalité peut être établie.

« Une science est d’autant plus complète, relativement à un certain ordre de faits, que nous réussissons mieux à constater le lien qui les unit, à rattacher les effets à leurs véritables causes. On y parvient en étudiant avec scrupule la nature de chacune des choses qui jouent un rôle quelconque dans le phénomène qu’il s’agit d’expliquer ; la nature des choses nous dévoile la manière dont les choses agissent, et la manière dont elles supportent les actions dont elles sont l’objet ; elle nous montre les rapports, la liaison des faits entre eux. Or, la meilleure manière de connaître la nature de chose consiste à en faire l’analyse, à voir tout ce qui se trouve en elle et rien que ce qui s’y trouve.

« Longtemps on a vu le flux et le reflux des eaux de la mer sans pouvoir l’expliquer, ou sans pouvoir en donner des explications satisfaisantes. Pour être en état d’assigner la véritable cause de ce phénomène, il a fallu que la forme sphérique de la terre et la communication établie entre les grandes masses d’eau fussent des faits constatés ; il a fallu que la gravitation universelle devint une vérité prouvée ; dès lors l’action de la lune et du soleil sur la mer a été connue, et l’on a pu assigner avec certitude la cause de son mouvement journalier.

« De même quand l’analyse a dévoilé la nature de cette qualité qui réside dans certaines choses et que nous avons nommée leur valeur, quand le même procédé nous a fait connaître de quoi se composent les frais de production et leur influence sur la valeur des choses, on a su positivement pourquoi l’or est plus précieux que le fer. La liaison entre ce phénomène et ses causes est devenue aussi certaine que le phénomène est constant…

« La nature des choses, fière et dédaigneuse aussi bien dans les sciences morales et politiques que dans les sciences physiques, en même temps qu’elle laisse pénétrer ses secrets à quiconque l’étudié avec constance et avec bonne foi, poursuit de toute manière sa marche, indépendamment de ce qu’on dit et de ce qu’on fait. Les hommes qui ont appris à la connaître peuvent, à la vérité, mettre la partie agissante de la société sur la voie de quelques applications des vérités qui leur ont été révélées ; mais en supposant même que leurs yeux et leurs inductions ne les aient pas trompés, ils ne peuvent connaître les rapports innombrables et divers qui font de la position de chaque individu, et même de chaque nation, une spécialité à laquelle nulle autre ne ressemble sous tous les rapports. Tout le monde, selon la situation où chacun se trouve, est appelé à prendre conseil de la science ; personne n’est autorisé à donner des directions. Une science n’est que l’expérience systématisée, ou, si l’on veut, c’est un amas d’expériences mises en ordre et accompagnées d’analyses qui dévoilent leurs causes et leurs résultats. Les inductions qu’en tirent ceux qui la professent peuvent passer pour des exemples, qui ne seraient bons à suivre rigoureusement que dans des circonstances absolument pareilles, mais qui ont besoin d’être modifiés selon la position de chacun. L’homme le plus instruit de la nature des choses ne saurait prévoir les combinaisons infinies qu’amène incessamment le mouvement de l’univers. »