Aller au contenu

Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/140

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
14
DISCOURS

ce qui lui est propre, et le donner aux spectateurs, il faut suivre les préceptes de l’art, et leur plaire selon ses règles. Il est constant qu’il y a des préceptes, puisqu’il y a un art ; mais il n’est pas constant quels ils sont. On convient du nom sans convenir de la chose, et on s’accorde sur les paroles pour contester sur leur signification. Il faut observer l’unité d’action, de lieu, et de jour, personne n’en doute ; mais ce n’est pas une petite difficulté de savoir ce que c’est que cette unité d’action, et jusques où peut s’étendre cette unité de jour et de lieu. Il faut que le poëte traite son sujet selon le vraisemblable et le nécessaire[1] ; Aristote le dit, et tous ses interprètes répètent les mêmes mots, qui leur semblent si clairs[2] et si intelligibles, qu’aucun d’eux n’a daigné nous dire, non plus que lui, ce que c’est que ce vraisemblable et ce nécessaire. Beaucoup même ont si peu considéré ce dernier[3], qui accompagne toujours l’autre chez ce philosophe, hormis une seule fois, où il parle de la comédie[4], qu’on en est venu jusqu’à établir une maxime très fausse, qu’il faut que le sujet d’une tragédie soit vraisemblable ; appliquant ainsi[5] aux conditions du sujet la moitié de ce qu’il a dit de la manière de le traiter. Ce n’est pas qu’on ne puisse faire une tragédie d’un sujet purement vraisemblable : il en donne pour exemple la Fleur[6] d’Agathon,

  1. Χρὴ δὲ… ἀεὶ ζητεῖν ἢ τὸ ἀναγκαῖον, ἢ τὸ εἰκός. (Aristote, Poétique, chap. xv, 6.)
  2. Var. (édit. de 1660) : les mêmes paroles qui leur semblent si claires.
  3. Var. (édit. de 1660) : ce dernier mot.
  4. Voyez la Poétique, chap. ix, 5.
  5. Il y a aussi, pour ainsi, dans les éditions de 1682 et de 1692 : la leçon des éditions antérieures nous a paru refermable.
  6. Aristote, Poétique, chap. ix, 7. — La Fleur, ἄνθος, pièce du poëte Agathon, contemporain de Sophocle et d’Eschyle, n’est connue que par ce passage d’Aristote.