Aller au contenu

Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/203

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
77
DE LA TRAGÉDIE.

pour percer de si épaisses obscurités, et déterminer si l’Iphigénie in Tauris est de l’invention d’Euripide, comme son Hélène et son Ion, ou s’il l’a prise d’un autre ; mais je crois pouvoir dire qu’il est très-malaisé d’en trouver dans l’histoire, soit que tels événements[1] n’arrivent que très rarement, soit qu’ils n’aient pas assez d’éclat pour y mériter une place : celui de Thésée, reconnu par le roi d’Athènes, son père, sur le point qu’il l’alloit faire périr, est le seul dont il me souvienne[2]. Quoi qu’il en soit, ceux qui aiment à les mettre sur la scène peuvent les inventer sans crainte de la censure : ils pourront produire par là quelque agréable suspension dans l’esprit de l’auditeur ; mais il ne faut pas qu’ils se promettent de lui tirer beaucoup de larmes.

L’autre question, s’il est permis de changer quelque chose aux sujets qu’on emprunte de l’histoire ou de la fable, semble décidée en termes assez formels par Aristote, lorsqu’il dit qu’il ne faut point changer les sujets reçus, et que Clytemnestre ne doit point être tuée par un autre qu’Oreste, ni Eriphyle par un autre qu’Alcméon[3]. Cette décision peut toutefois recevoir quelque distinction et quelque tempérament. Il est constant que les circonstances, ou si vous l’aimez mieux, les moyens de parvenir à l’action, demeurent en notre pouvoir. L’histoire souvent ne les marque pas, ou en rapporte si peu, qu’il est besoin d’y suppléer pour remplir le poëme ; et même il y a quelque apparence de présumer que la

  1. Var. (édit. de 1663) : de tels événements.
  2. Dans l’édition de 1660 ce passage relatif a Thésée se trouve plus haut sous une forme un peu différente (voyez p. 74, note 2). C’est a partir de l’édition de 1663 qu’il a été transporté ici.
  3. Τοὺς μὲν οὖν παρειλημμένους μύθους λύειν οὐκ ἔστι. Λέγω δὲ οἷον τὴν Κλυταιμνήςτραν ἀποθανοῦσαν ὑπὸ τοῦ ᾽Ορέστου, καὶ τὴν ᾽Εριφύλην ὑπὸ τοῦ ᾽Αλκμαίωνος. (Aristote, Poétique, chap. xiv, 5.)