Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/216

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dès le commencement du monde ; nous devons présumer qu’il n’y a point eu de changement, à moins que l’histoire le marque ; et la géographie nous en apprend tous les noms anciens et modernes. Ainsi un homme serait ridicule d’imaginer que du temps d’Abraham Paris fût au pied des Alpes, ou que la Seine traversât l’Espagne, et de mêler de pareilles grotesques dans une pièce d’invention. Mais l’histoire est des choses qui passent, et qui succédant les unes aux autres, n’ont que chacune un moment pour leur durée, dont il en échappe beaucoup à la connaissance de ceux qui l’écrivent. Aussi n’en peut-on montrer aucune qui contienne tout ce qui s’est passé dans les lieux dont elle parle, ni tout ce qu’ont fait ceux dont elle décrit la vie. Je n’en excepte pas même les Commentaires de César, qui écrivait sa propre histoire, et devait la savoir tout entière. Nous savons quels pays arrosaient le Rhône et la Seine avant qu’il vînt dans les Gaules ; mais nous ne savons que fort peu de chose, et peut-être rien du tout, de ce qui s’y est passé avant sa venue. Ainsi nous pouvons bien y placer des actions que nous feignons arrivées avant ce temps-là, mais non pas, sous ce prétexte de fiction poétique et d’éloignement des temps, y changer la distance naturelle d’un lieu à l’autre. C’est de cette façon que Barclay en a usé dans son Argenis, où il ne nomme aucune ville ni fleuve de Sicile, ni de nos provinces, que par des noms véritables, bien que ceux de toutes les personnes qu’il y met sur le tapis soient entièrement de son invention aussi bien que leurs actions.