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DES TROIS UNITÉS.

mémoire de ce qui s’est fait dix ou douze ans auparavant[1], pour comprendre ce qu’il voit représenter ; mais celles qui se font des choses qui arrivent et se passent derrière le théâtre, depuis l’action commencée, font toujours un meilleur effet, parce qu’elles sont attendues avec quelque curiosité, et font partie de cette action qui se représente. Une des raisons qui donne tant d’illustres suffrages à Cinna pour le mettre au-dessus de ce que j’ai fait, c’est qu’il n’y a aucune narration du passé, celle qu’il fait de sa conspiration à Émilie étant plutôt un ornement qui chatouille l’esprit des spectateurs qu’une instruction nécessaire de particularités qu’ils doivent savoir et imprimer dans leur mémoire pour l’intelligence de la suite. Émilie leur fait assez connoître dans les deux premières scènes qu’il conspiroit contre Auguste en sa faveur ; et quand Cinna lui diroit tout simplement que les conjurés sont prêts au lendemain, il avanceroit autant pour l’action que par les cent vers qu’il emploie à lui rendre compte, et de ce qu’il leur a dit, et de la manière dont ils l’ont reçu. Il y a des intrigues qui commencent dès la naissance du héros, comme celui d’Héraclius ; mais ces grands efforts d’imagination en demandent un extraordinaire à l’attention du spectateur, et l’empêchent souvent de prendre un plaisir entier aux premières représentations, tant ils le fatiguent.

Dans le dénouement je trouve deux choses à éviter, le simple changement de volonté, et la machine. Il n’y a pas grand artifice à finir un poëme, quand celui qui a fait obstacle aux desseins des premiers acteurs, durant quatre actes, en désiste au cinquième, sans aucun événement notable qui l’y oblige : j’en ai parlé au premier Dis-

  1. Var. (édit. de 1660 et de 1663) : de ce qui s’est fait il y a dix ou douze ans.