Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
108
DISCOURS

manière de les distinguer étoit plus incommode que la nôtre ; car ou l’on prêtoit attention à ce que chantoit le chœur, ou l’on n’y en prêtoit point : si l’on y en prêtoit, l’esprit de l’auditeur étoit trop tendu, et n’avoit aucun moment pour se délasser ; si l’on n’y en prétoit point, son attention étoit trop dissipée par la longueur du chant, et lorsqu’un autre acte commençoit, il avoit besoin d’un effort de mémoire pour rappeler en son imagination ce qu’il avoit déjà vu[1], et en quel point l’action étoit demeurée. Nos violons n’ont aucune de ces deux incommodités : l’esprit de l’auditeur se relâche durant qu’ils jouent, et réfléchit même sur ce qu’il a vu, pour le louer ou le blâmer, suivant qu’il lui a plu ou déplu ; et le peu qu’on les laisse jouer lui en laisse les idées si récentes, que quand les acteurs reviennent, il n’a point besoin de se faire d’effort pour rappeler et renouer son attention.

Le nombre des scènes dans chaque acte ne reçoit aucune règle ; mais comme tout l’acte doit avoir une certaine quantité de vers qui proportionne sa durée à celle des autres, on y peut mettre plus ou moins de scènes, selon qu’elles sont plus ou moins longues, pour employer le temps que tout l’acte ensemble doit consumer. Il faut, s’il se peut, y rendre raison de l’entrée et de la sortie de chaque acteur ; surtout pour la sortie je tiens cette règle indispensable, et il n’y a rien de si mauvaise grâce qu’un acteur qui se retire du théâtre seulement parce qu’il n’a plus de vers à dire.

Je ne serois pas si rigoureux pour les entrées. L’auditeur attend l’acteur ; et bien que le théâtre représente la chambre ou le cabinet de celui qui parle, il ne peut tou-

  1. Var. (édit. de 1660–1664) : Il avoit besoin d’un effort d’esprit pour y rappeler ce qu’il avoit déjà vu.