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DES TROIS UNITÉS.

cette licence ; et s’ils forcent la vraisemblance commune en quelque chose, du moins ils ne vont point jusqu’à de telles impossibilités.

Beaucoup déclament contre cette règle, qu’ils nomment tyrannique, et auroient raison, si elle n’étoit fondée que sur l’autorité d’Aristote ; mais ce qui la doit faire accepter, c’est la raison naturelle qui lui sert d’appui. Le poëme dramatique est une imitation, ou pour en mieux parler, un portrait des actions des hommes ; et il est hors de doute que les portraits sont d’autant plus excellents qu’ils ressemblent mieux à l’original. La représentation dure deux heures, et ressembleroit parfaitement, si l’action qu’elle représente n’en demandoit pas davantage pour sa réalité. Ainsi ne nous arrêtons point ni aux douze, ni aux vingt-quatre heures ; mais resserrons l’action du poëme dans la moindre durée qu’il nous sera possible, afin que sa représentation ressemble mieux et soit plus parfaite. Ne donnons, s’il se peut, à l’une que les deux heures que l’autre remplit. Je ne crois pas que Rodogune en demande guère davantage, et peut-être qu’elles suffiroient pour Cinna. Si nous ne pouvons la renfermer dans ces deux heures, prenons-en quatre, six, dix, mais ne passons pas de beaucoup les vingt-quatre, de peur de tomber dans le déréglement, et de réduire tellement le portrait en petit, qu’il n’aye plus ses dimensions proportionnées, et ne soit qu’imperfection.

Surtout je voudrois laisser cette durée à l’imagination des auditeurs, et ne déterminer jamais le temps qu’elle emporte, si le sujet n’en avoit besoin, principalement quand la vraisemblance y est un peu forcée comme au Cid, parce qu’alors cela ne sert qu’à les avertir de cette précipitation. Lors même que rien n’est violenté dans un poëme par la nécessité d’obéir à cette règle, qu’est-il besoin de marquer à l’ouverture du théâtre que le soleil se