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DISCOURS

scène de Cinna ne sort point de Rome, et est tantôt l’appartement d’Auguste dans son palais, et tantôt la maison d’Émilie. Le Menteur a les Tuileries et la place Royale dans Paris, et la Suite fait voir la prison et le logis de Mélisse dans Lyon. Le Cid multiplie encore davantage les lieux particuliers sans quitter Séville ; et, comme la liaison de scènes n’y est pas gardée, le théâtre, dès le premier acte, est la maison de Chimène, l’appartement de l’Infante dans le palais du Roi, et la place publique ; le second y ajoute la chambre du Roi ; et sans doute il y a quelque excès dans cette licence. Pour rectifier en quelque façon cette duplicité de lieu quand elle est inévitable, je voudrois qu’on fît deux choses : l’une, que jamais on ne changeât[1] dans le même acte, mais seulement de l’un à l’autre, comme il se fait dans les trois premiers de Cinna ; l’autre, que ces deux lieux n’eussent point besoin de diverses décorations, et qu’aucun des deux ne fût jamais nommé, mais seulement le lieu général où tous les deux sont compris, comme Paris, Rome, Lyon, Constantinople, etc. Cela aideroit à tromper l’auditeur, qui ne voyant rien qui lui marquât la diversité des lieux, ne s’en apercevroit pas, à moins d’une réflexion malicieuse et critique, dont il y en a peu qui soient capables, la plupart s’attachant avec chaleur à l’action qu’ils voient représenter. Le plaisir qu’ils y prennent est cause qu’ils n’en veulent pas chercher le peu de justesse pour s’en dégoûter ; et ils ne le reconnoissent que par force, quand il est trop visible, comme dans le Menteur et la Suite, où les différentes décorations font reconnoître cette duplicité de lieu, malgré qu’on en ait[2].

Mais comme les personnes qui ont des intérêts op-

  1. Var. (édit. de 1660 et de 1663) : on n’en changeât.
  2. Le mot est écrit ainsi dans toutes les éditions, de 1660 à 1682.