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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/493

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VARIANTES
1384 Ainsi nos feux secrets n’avoient point de jaloux.

Tant que leur sainte ardeur, plus forte devenue,
Voulut un peu de mal à tant de retenue.
Lors on nous vit quitter ces ridicules soins,
Et nos petits larcins souffrirent les témoins.
Si je voulois baiser ou tes yeux ou ta bouche.
Tu savois dextrement faire un peu la farouche,
Et me laissant toujours de quoi me prévaloir,
Montrer également le craindre et le vouloir.
Depuis avec le temps l’amour s’est fait le maître ;
Sans aucune contrainte il a voulu paroître :
Si bien que plus nos cœurs perdoient de liberté,
Et plus on en voyoit en notre privauté.
Ainsi dorénavant, après la foi donnée,
Nous ne respirons plus qu’un heureux hyménée,
Et, ne touchant encor ses droits que du penser,
Nos feux à tout le reste osent se dispenser ;
Hors ce point, tout est libre à l’ardeur qui nous presse[1].

SCÈNE III.
CALISTE, ROSIDOR[2].
cal. Que diras-tu, mon cœur, de voir que ta maîtresse
Te vient effrontément trouver jusques au lit ?
ros. Que dirai-je, sinon que pour un tel délit
On ne m’échappe à moins de trois baisers d’amende ?
cal. La gentille façon d’en faire la demande !
ros. Mon regret, dans ce lit qu’on m’oblige à garder,
C’est de ne pouvoir plus prendre sans demander :
Autrement, mon souci, tu sais comme j’en use.
cal. En effet, il est vrai, de peur qu’on te refuse,
Sans rien dire souvent et par force tu prends.
ros. Ce que, forcée ou non, de bon cœur tu me rends.
cal. Tout beau : si quelquefois je souffre et je pardonne
Le trop de liberté que ta flamme se donne,
C’est sous condition de n’y plus revenir.
ros. Si tu me rencontrois d’humeur à la tenir.
Tu chercherois bientôt moyen de t’en dédire.
Ton sexe, qui défend ce que plus il désire,
Voit fort à contrecœur… cal. Qu’on lui désobéit,
Et que notre foiblesse au plus fort le trahit.
ros. Ne dissimulons point : est-il quelque avantage
Qu’avec nous au baiser ton sexe ne partage ?
cal. Vos importunités le font assez juger.
ros. Nous ne nous en servons que pour vous obliger :
C’est par où notre ardeur supplée à votre honte ;

  1. En marge, dans l’édition de 1632 : caliste entre et s’assied sur son lit.
  2. rosidor, caliste. (1644-57)