Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 10.djvu/168

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Sans cesse il importune, et sans cesse il assiège,
Importun par devoir, fâcheux par privilège,
Ardent à vous servir jusqu’à vous en lasser,
Mais au reste un peu tendre et facile à blesser. 20
Le plus léger chagrin d’une humeur inégale,
Le moindre égarement d’un mauvais intervalle,
Un souris par mégarde à ses yeux dérobé,
Un coup d’œil par hasard sur un autre tombé,
Le plus foible dehors de cette complaisance 25
Que se permet pour tous la même indifférence :
Tout cela fait pour lui de grands crimes d’État ;
Et plus l’amour est fort, plus il est délicat.
Vous avez vu, Philis, comme il brise sa chaîne
Sitôt qu’auprès de vous quelque chose le gêne ; 30
Et comme vos bontés ne sont qu’un foible appui
Contre un murmure sourd qui s’épand jusqu’à lui.
Que ce soit vérité, que ce soit calomnie,
Pour vous voir en coupable il suffit qu’on le die ;
Et lorsqu’une imposture a quelque fondement 35
Sur un peu d’imprudence, ou sur trop d’enjouement,
Tout ce qu’il sait de vous et de votre innocence
N’ose le révolter contre cette apparence,
Et souffre qu’elle expose à cent fausses clartés
Votre humeur sociable et vos civilités. 40
Sa raison au dedans vous fait en vain justice,
Sa raison au dehors respecte son caprice ;
La peur de sembler dupe aux yeux de quelques fous
Étouffe cette voix qui parle trop pour vous.
La part qu’il prend sur lui de votre renommée 45
Forme un sombre dépit de vous avoir aimée ;
Et comme il n’est plus temps d’en faire un désaveu,
Il fait gloire partout d’éteindre un si beau feu :
Du moins s’il ne l’éteint, il l’empêche de luire,
Et brave le pouvoir qu’il ne sauroit détruire. 50