Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 10.djvu/83

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Melpomene, et longos sit ; precor, apta dies.
Hos gestit versare modos hic nescia vinci
Nostra coronato vertice laurus ovat : 70
Me pauci hic fecere parem, nullusque secundum[1],
Nec spernenda fuit gloria pone sequi.
Desipiat nota forsan qui primus in arte,
Ultimus ignotis artibus esse velit.
Suspicio vates, et carmina pronus adoro 75
Materiam queis Rex, Richeliusve dédit ;
Sed neque Godæis[2] accedat musa tropæis,
Nec Capellanum[3] fas mihi velle sequi,

    leurs soucis, et plaise à Dieu qu’elle le soit de longs jours encore ! Voilà les chants qu’elle aime à méditer : là triomphe, sans craindre la défaite, le laurier qui ceint mon front ; là peu d’hommes m’ont atteint, nul ne m’a dépassé, et me suivre de près n’a point semblé une gloire à mépriser. Il est insensé celui qui, premier, s’il peut l’être, dans un art qu’il connaît, se résigne à être le dernier dans un art inconnu. J’admire les poëtes, et j’adore humblement les vers dont le Roi ou Richelieu ont fourni la matière ; mais ma muse se garde d’approcher des trophées de Godeau ; et il ne m’est pas permis de vouloir suivre Chapelain, pour ne rien dire des autres dont la

  1. Corneille a encore traduit ce vers dans l’Excuse à Ariste (vers 52 et 53) ; mais si, comme tout porte à le croire, cette pièce de vers n’a été composée qu’après le succès du Cid, notre poète était alors beaucoup mieux fondé à dire :
    Je ne dois qu’à moi seul toute ma renommée,
    Et pense toutefois n’avoir point de rival
    À qui je fasse tort en le traitant d’égal.
  2. Antoine Godeau, né le 24 septembre 1605, mort le 21 avril 1672, nommé évêque de Grasse le 21 juin 1636, était alors connu par le discours qu’il avait placé en tête des Œuvres de Malherbe (voyez l’édition de M. Lud. Lalanne, tome I, p. xcii), par la préface du Dialogue des causes de la corruption de l’éloquence, traduit par Giry, et surtout par ses Œuvres chrétiennes, publiées en 1633. Il avait composé aussi un grand nombre de poésies diverses, et entre autres une Ode au Roi, qui forme les pages 1-13 du Parnasse royal.
  3. Jean Chapelain, né le 4 décembre 1595, mort en 1674, n’avait