Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 10.djvu/88

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Mais elle est épuisée, et les vers à présent
Aux meilleurs du métier n’apportant[1] que du vent,
Chacun s’en donne à l’aise, et souvent se dispense[2]
À prendre par ses mains toute sa récompense. 30
Nous nous aimons un peu, c’est notre foible à tous :
Le prix que nous valons, qui le sait mieux que nous ?
Et puis la mode en est, et la cour l’autorise.
Nous parlons de nous-même avec toute franchise ;
La fausse humilité ne met plus en crédit. 35
Je sais ce que je vaux, et crois ce qu’on m’en dit.
Pour me faire admirer je ne fais point de ligue :
J’ai peu de voix pour moi, mais je les ai sans brigue ;
Et mon ambition, pour faire plus de bruit,
Ne les va point quêter de réduit en réduit ; 40
Mon travail sans appui monte sur le théâtre :
Chacun en liberté l’y blâme ou l’idolâtre ;
Là, sans que mes amis prêchent leurs sentiments,
J’arrache quelquefois trop d’applaudissements[3] ;
Là, content du succès que le mérite donne, 45
Par d’illustres avis je n’éblouis personne :
Je satisfais ensemble et peuple et courtisans,
Et mes vers en tous lieux sont mes seuls partisans ;
Par leur seule beauté ma plume est estimée :
Je ne dois qu’à moi seul toute ma renommée, 50
Et pense toutefois n’avoir point de rival
À qui je fasse tort en le traitant d’égal[4].
Mais insensiblement je baille[5] ici le change,

  1. N’apportant a été remplacé par n’apportent dans l’édition avec fleuron, dans le Recueil… et dans les Œuvres diverses de 1738.
  2. Voyez ci-dessus, p. 51, vers 24 et note 2.
  3. Leurs applaudissements, dans les Œuvres diverses, et depuis dans toutes les éditions.
  4. Voyez ci-dessus, p. 71, note 1.
  5. Je donne, dans le Recueil et dans l’édition de Granet.