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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 11.djvu/21

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VII
PRÉFACE.

chefs-d’œuvre ; mais le génie, comme la nature, ne livre pas ses secrets.

Une source coule abondante et limpide, au pied des rochers, sous le feuillage ; ses vertus sont nombreuses et parfois presque opposées : elle rend la force, la santé à ceux qui viennent s’abreuver de son eau ou y plonger leurs membres endoloris. Un chimiste survient, qui l’analyse avec la rigueur la plus scientifique : il en énumère les éléments, leur proportion et leur mélange, dit ce qu’elle contient au juste de soufre, de magnésie, de phosphate de chaux et d’acide carbonique, puis il en compose une toute semblable ; la science n’y aperçoit aucune différence, les malades seuls ne s’y trompent point : l’onde si salutaire n’est plus qu’un remède d’une efficacité contestable. Que manque-t-il donc ? Ce que personne n’est capable de connaître, ce que les savants ne peuvent apprécier, quelque chose de divin et d’insaisissable, ce θεῖόν τι qu’Hippocrate signale dans les maladies, et qui existe aussi dans les remèdes.

Voilà justement l’histoire des écrivains et de leurs commentateurs. Dans un poëme hors de ligne il y a toujours quelque chose qui échappe à l’analyse la plus patiente, et qui ne tient ni au choix artificiel des expressions, ni à la savante construction des phrases : c’est l’accent du cœur, le cri de l’âme même. Lorsqu’une grande passion possède un homme entièrement étranger à l’art de la parole, il trouve parfois de ces mots inattendus qui, dans toute une foule, viennent frapper chaque assistant, et changent les résolutions et les volontés. Les orateurs, les poëtes, quand ils sont agités de semblables mouvements, savent en diriger la force, en augmenter la portée : les expressions, qu’ils cherchent parfois, viennent alors d’elles-mêmes et se subordonnent à la pensée dominante ; le langage s’élève ; la différence des styles, celle des temps même disparaît, et si plusieurs écrivains de date fort diverse rencontrent une idée sublime, ils parlent tous la même langue.

Tenter un parallèle entre Garnier et Corneille ou Racine serait insensé ; mais n’est-il pas fort remarquable qu’il se rapproche parfois d’eux, précisément dans les endroits où ils excellent, et qu’en certaines rencontres il ne se montre pas trop inférieur à leur génie, lui qui n’atteint nulle part à leur talent ?

On trouve dans ses tragédies des morceaux tout près d’être sublimes, auxquels il ne manque pour cela qu’une vivacité, une concision, que Corneille ou Racine ont su donner aux mêmes idées, lorsqu’ils les ont abordées à leur tour.

Voici une confession de foi vive et hardie :

Le Dieu que nous servons est le seul Dieu du monde,
Qui de rien a basti le ciel, la terre et l’onde ;