Aller au contenu

Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 11.djvu/31

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XVII
PRÉFACE.

d’un usage assez peu répandu, oubliés par les lexicographes contemporains, et connaissant bien mieux qu’eux les ressources et l’étendue de notre vocabulaire, il place souvent de la manière la plus heureuse dans ses œuvres tel mot dont on l’a cru l’inventeur, faute de le trouver à son rang alphabétique dans les dictionnaires.

Quant à ses modèles dramatiques, ce n’est pas au théâtre grec qu’il va les demander, il les doit presque tous à l’Espagne, et même lorsqu’il les cherche dans l’antiquité latine, c’est encore, comme il le remarque lui-même[1], aux auteurs de ce pays qu’il a surtout recours. Mais l’ardeur méridionale est constamment tempérée dans ses écrits par la sapience normande ; la vivacité de la passion, unie au calme du bon sens, forme le caractère propre de son génie. C’est là le fond commun que nous retrouvons dans les personnages si divers qu’il a fait parler ; c’est de là que procèdent la majesté familière d’Auguste, la fermeté si mâle et pourtant si attendrie du vieil Horace, le courage ému de Rodrigue, l’héroïsme exalté, et pourtant toujours simple et naturel, de Polyeucte.

Corneille ne court point après le majestueux et le sublime ; il s’étudie généralement à proportionner son langage aux sujets qu’il traite et aux gens qu’il fait parier ; chez lui la noblesse du style dépend surtout de la noblesse des sentiments. Qu’on écoute Maxime et Félix, on se convaincra bien vite que parfois notre poëte abaisse à dessein le style de la tragédie jusqu’au ton le plus vulgaire, de peur d’ennoblir, par l’expression, des pensées qui doivent demeurer viles et abjectes. Dans la comédie, il recherche le langage simple de la bonne compagnie, et il nous apprend lui-même que ce fut là un des principaux motifs du succès de Mélite : « La nouveauté de ce genre de comédie, dont il n’y a point d’exemple en aucune langue, et le style naïf qui faisoit une peinture de la conversation des honnêtes gens, furent sans doute cause de ce bonheur surprenant, qui fit alors tant de bruit[2]. »

Voilà, pour la langue, dans tous les genres qu’il a traités, le premier modèle de notre poëte : la conversation des honnêtes gens ; cette conversation tour à tour grave et enjouée, qui abordait si résolument

  1. « J’ai cru que nonobstant la guerre des deux couronnes, il m’étoit permis de trafiquer en Espagne. Si cette sorte de commerce étoit un crime, il y a longtemps que je serois coupable, je ne dis pas seulement pour le Cid, où je me suis aidé de don Guillen de Castro, mais aussi pour Médée, dont je viens de parler, et pour Pompée même, où pensant me fortifier du secours de deux Latins, j’ai pris celui de deux Espagnols, Sénèque et Lucain étant tous deux de Cordoue. » (Tome IV, p. 131. Épître du Menteur.)
  2. Tome I, p. 138.