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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 11.djvu/40

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XXVI
LEXIQUE DE CORNEILLE.

clientèle et de clients, et de se faire ainsi les patrons de leurs acheteurs.

Quelques termes d’ajustements qu’on trouve dans Corneille pourraient embarrasser un instant. Nous les avons expliqués dans le Lexique : le tapabord était une sorte de chapeau employé sur mer et en voyage ; la petite-oie, une garniture d’habit ; le galant, un nœud de ruban ; du reste il suffit de lire la dernière scène des Mots à la mode de Boursault, pour se convaincre que certaines parties du costume des femmes portaient parfois des noms encore beaucoup plus singuliers.

Ce n’est pas seulement sur les dénominations de ce genre que la mode exerçait son empire ; elle changeait tout à coup la signification d’un terme étranger à son domaine et datant des origines mêmes de la langue. Jadis le mot viande s’appliquait à toute espèce d’aliments ; mais à la fin du seizième siècle, la cour, comme nous l’apprend Nicot, introduisit la coutume d’en limiter la signification, et de la restreindre à la nourriture animale, désignée jusqu’alors par le mot chair ; Corneille et nos autres grands écrivains tentèrent vainement de lui maintenir un sens plus large : le caprice l’emporta sur la raison.

Si l’examen des œuvres de Corneille facilite singulièrement l’étude de la formation du style noble et la connaissance des acceptions particulières de certains mots pendant le cours du dix-septième siècle, il jette aussi beaucoup de jour sur l’histoire chronologique de nos règles grammaticales.

Depuis 1629, date fort probable de Mélite, jusqu’à 1674, époque de la première représentation de Suréna, de profonds changements eurent lieu dans la langue, et l’histoire de la carrière dramatique de notre poëte coïncide admirablement avec celle de la constitution définitive du Français moderne : l’étude du sens des mots et de la nature des règles qui doivent les régir occupait les savants, défrayait les conversations des ruelles, et se faisait place, jusque dans les lettres galantes, entre une déclaration et un madrigal. Au milieu de tant de doutes, de questions, de remarques, de décisions, d’arrêts, la langue marchait si vite que les travaux d’érudition ne pouvaient la suivre. L’Académie fut obligée, avant de publier son Dictionnaire, d’en modifier entièrement les premières lettres, tant l’usage avait changé pendant qu’elle le rédigeait ; et Vaugelas récrivit plusieurs fois sa traduction de Quinte-Curce : nous ne la possédons, par malheur, que sous sa forme définitive, et l’on ignore le sort du manuscrit original, qui nous ferait connaître les scrupules et les préférences du savant grammairien.

Pressés de profiter de l’à-propos et des circonstances, les poëtes dramatiques ne pouvaient ainsi revoir leurs écrits à loisir avant la