Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 2.djvu/351

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Médée, qui, ayant su que Jason a arraché Créuse à ses ravisseurs, et pris Ægée prisonnier, ne veut point qu’on lui explique comment cela s’est fait. Lorsqu’on a affaire à un esprit tranquille, comme Achorée à Cléopâtre dans la Mort de Pompée, pour qui elle ne s’intéresse que par un sentiment d’honneur, on prend le loisir d’exprimer toutes les particularités ; mais avant que d’y descendre, j’estime qu’il est bon, même alors, d’en dire tout l’effet en deux mots dès l’abord. Surtout, dans les narrations ornées et pathétiques, il faut très soigneusement prendre garde en quelle assiette est l’âme de celui qui parle et de celui qui écoute, et se passer de cet ornement, qui ne va guère sans quelque étalage ambitieux, s’il y a la moindre apparence que l’un des deux soit trop en péril, ou dans une passion trop violente pour avoir toute la patience nécessaire au récit qu’on se propose. J’oubliais à remarquer que la prison où je mets Ægée est un spectacle désagréable, que je conseillerais d’éviter ; ces grilles qui éloignent l’acteur du spectateur, et lui cachent toujours plus de la moitié de sa personne, ne manquent jamais à rendre son action fort languissante. Il arrive quelquefois des occasions indispensables de faire arrêter prisonniers sur nos théâtres quelques-uns de nos principaux acteurs ; mais alors il vaut mieux se contenter de leur donner des gardes qui les suivent, et n’affaiblissent ni le spectacle ni l’action, comme dans Polyeucte et dans Héraclius. J’ai voulu rendre visible ici l’obligation qu’Ægée avait à Médée ; mais cela se fût mieux fait par un récit. Je serai bien aise encore qu’on remarque la civilité de Jason envers Pollux à son départ : il l’accompagne jusque hors de la ville ; et c’est une adresse de théâtre assez heureusement pratiquée pour l’éloigner de Créon et