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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/157

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ACTE II, SCÈNE VIII
Don Fernand.

Don Diègue, répondez.

Don Diègue.

Don Diègue, répondez. Qu’on est digne d’envie
Lorsqu’en perdant la force on perd aussi la vie[1],
Et qu’un long âge apprête aux hommes généreux,
700Au bout de leur carrière, un destin malheureux !
Moi, dont les longs travaux ont acquis tant de gloire,
Moi, que jadis partout a suivi la victoire,
Je me vois aujourd’hui, pour avoir trop vécu,
Recevoir un affront et demeurer vaincu.
705Ce que n’a pu jamais combat, siège, embuscade,
Ce que n’a pu jamais Aragon ni Grenade,
Ni tous vos ennemis, ni tous mes envieux[2],
Le Comte en votre cour l’a fait presque à vos yeux[3],
Jaloux de votre choix, et fier de l’avantage
710Que lui donnoit sur moi l’impuissance de l’âge.
Sire, ainsi ces cheveux blanchis sous le harnois,
Ce sang pour vous servir prodigué tant de fois,
Ce bras, jadis l’effroi d’une armée ennemie,
Descendoient au tombeau tous chargés d’infamie,
715Si je n’eusse produit un fils digne de moi,
Digne de son pays et digne de son roi.
Il m’a prêté sa main, il a tué le Comte ;
Il m’a rendu l’honneur, il a lavé ma honte.
Si montrer du courage et du ressentiment,
720Si venger un soufflet mérite un châtiment,
Sur moi seul doit tomber l’éclat de la tempête :

  1. Var. Quand avecque la force on perd aussi la vie,
    Sire, et que l’âge apporte aux hommes généreux
    Avecque sa foiblesse un destin malheureux ! (1637-56)
  2. Var. Ni tous mes ennemis, ni tous mes envieux. (1637 in-12)
  3. Var. L’orgueil dans votre cour l’a fait presque à vos yeux,
    Et souillé sans respect l’honneur de ma vieillesse,
    Avantagé de l’âge, et fort de ma foiblesse. (1637-56)