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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/264

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sur les représentations d’Horace à l’hotel de Bourgogne. Molière suppose qu’un poëte demande à une troupe qu’il veut juger, de lui réciter une scène d’amant et d’amante : « Là-dessus une comédienne et un comédien auroient fait une scène ensemble, qui est celle de Camille et de Curiace :

Iras-tu, ma chère âme, et ce funeste honneur
Te plaît-il aux dépens de tout notre bonheur ?
— Hélas ! je vois trop bien, etc.[1]


… le plus naturellement qu’ils auroient pu. Et le poëte aussitôt : « Vous vous moquez, vous ne faites rien qui vaille ; « et voici comme il faut réciter cela (il imite Mlle de Beauchâteau, comédienne de l’hôtel de Bourgogne) :

Iras-tu, ma chère âme, etc.
— Non, je te connois mieux, etc.


« Voyez-vous comme cela est naturel et passionné ? Admirez ce « visage riant qu’elle conserve dans les plus grandes afflictions. »

Dans l’édition de 1660, Corneille remplaça : « Iras-tu, ma chère âme ? » qui avait vieilli, par : « Iras-tu, Curiace ? » Cela eût été sans doute indifférent à la Beauchâteau ; mais Mlle Clairon, qui était en droit d’avoir ses préférences, n’hésita pas à rétablir « ma chère âme, » qui en effet n’a ici rien de banal, ni de galant, et ajoute au contraire l’expression d’une tendresse profonde au cri d’épouvante que laisse échapper Camille.

Si, dans l’histoire des représentations de la tragédie d’Horace, nous avions voulu suivre un ordre purement chronologique, il eût fallu, avant de nommer Mlle Clairon, raconter une anecdote souvent reproduite, mais presque toujours défigurée. Peut-être à cause de cela, y aura-t-il quelque nouveauté à la donner ici telle que la raconte l’abbé Nadal[2]. Dans ses Observations sur la tragédie ancienne et moderne, cet exact ami des règles, après avoir regretté vivement que le meurtre de Camille s’accomplisse sur la scène, continue en ces termes : « La demoiselle Duclos, une de nos plus célèbres comédiennes, autant par les grâces de sa personne que par la beauté de sa voix et la noblesse de son action, jouoit le rôle de Camille, et

  1. Voyez plus loin, p. 305, les vers 533 et suivants, et la note i.
  2. Œuvres mêlées, 1738, tome II, p. 163 et 164.