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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/338

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Ou qu’un beau désespoir alors le secourût.
N’eût-il que d’un moment reculé sa défaite,
Rome eût été du moins un peu plus tard sujette ;
Il eût avec honneur laissé mes cheveux gris,
Et c’étoit de sa vie un assez digne prix.
EtIl est de tout son sang comptable à sa patrie ;
Chaque goutte épargnée a sa gloire flétrie ;
Chaque instant de sa vie, après ce lâche tour,
Met d’autant plus ma honte avec la sienne au jour.
J’en romprai bien le cours, et ma juste colère,
Contre un indigne fils usant des droits d’un père,
Saura bien faire voir dans sa punition
L’éclatant désaveu d’une telle action.

SABINE.

Écoutez un peu moins ces ardeurs généreuses,
Et ne nous rendez point tout à fait malheureuses.

LE VIEIL HORACE.

Sabine, votre cœur se console aisément ;
Nos malheurs jusqu’ici vous touchent foiblement.
Vous n’avez point encor de part à nos misères :
Le ciel vous a sauvé votre époux et vos frères ;
Si nous sommes sujets, c’est de votre pays ;
Vos frères sont vainqueurs quand nous sommes trahis ;

    Live, livre XXII, chapitre xcix), n’a aucun rapport avec la réponse sublime du vieil Horace, et nous ne comprenons pas qu’on l’en ait rapproché. Le moreretur, inquies, de Cicéron, dans le Discours pour C. Rabirius Postumus (chapitre x, § 29), peut bien se traduire par : « Que vouliez-vous qu’il fît ? — Qu’il mourût, direz-vous ; » mais la ressemblance est toute superficielle : la pensée, le sentiment, la situation, tout est différent. — Un rapprochement plus opportun, mais bien propre à faire ressortir, quoiqu’au fond l’idée soit semblable, l’originalité de Corneille, ce serait peut-être celui de ces vers de la tragédie des Juives (acte IV, vers 33 et suivants) de notre vieux poëte Garnier :
    -----.C’est vergongne à un roi de survivre vaincu :
    -----.Un bon cœur n’eût jamais son malheur survécu.
    -----.— Et qu’eussiez-vous pu faire ? — Un acte magnanime,
    -----.Qui malgré le destin m’eût acquis de l’estime.
    -----.Je fusse mort en roi, fièrement combattant,
    -----.Maint barbare adversaire à mes pieds abattant.