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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/375

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bitants furent arrêtés ; on leur fit leur procès, et quarante-six furent condamnés : quatre à être rompus vifs, vingt au gibet, vingt-deux au bannissement perpétuel.

« Le chancelier, qui réglait toutes ces représailles sur la connaissance qu’il avait des sévérités ordinaires à celui dont il était l’exécuteur, ne se croyait pas satisfait encore. Après avoir décimé la population, il voulait décapiter la ville elle-même, et rêvait pour cela la démolition de sa maison commune. C’était trop de zèle. Le Cardinal, à qui il envoya le menu de ses rigueurs, fit écrire en marge : « Bon, à l’exception du rasement de l’hôtel de ville[1]. »

En sa qualité d’avocat aux sièges généraux de l’amirauté, Corneille faisait partie du parlement ; il comptait parmi les proscrits, des amis, des parents peut-être, et devait avoir à cœur de calmer les ressentiments de Richelieu. Est-ce à dire que nous ne voyions dans Cinna qu’un éloquent plaidoyer ? Dieu nous en garde ! À coup sûr, Corneille voulait avant tout faire une belle tragédie ; mais rencontrant dans Sénèque le magnifique exemple de clémence qu’il a si bien mis en scène, ne peut-il point, par un retour bien naturel sur son temps, avoir souhaité pour sa ville natale un souverain aussi magnanime qu’Auguste ? S’il a eu cette idée, la Rome antique s’est tout à coup animée à ses yeux, et l’émotion que lui avaient causée les troubles dont il venait d’être le témoin fut la source de cette inspiration passionnée avec laquelle il peignit, en contemporain, en spectateur fidèle, les agitations qui accompagnèrent l’établissement de l’empire.

Le public était du reste admirablement préparé à goûter une œuvre de ce genre : « Les premiers spectateurs, dit Voltaire, furent ceux qui combattirent à la Marfée, et qui firent la guerre de la Fronde. Il y a d’ailleurs dans cette pièce un vrai continuel, un développement de la constitution de l’empire romain qui plaît extrêmement aux hommes d’État, et alors chacun voulait l’être[2]. »

  1. M. Rathery, p. 271. — M. Édouard Fournier, Notes sur la vie de Corneille, p. cxvii-cxix, en tête de Corneille à la Butte Saint-Roch.
  2. Remarques sur Cinna, acte V, scène iii, vers 1701.