Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/388

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


MONTAGNE[1].

Livre I de ses Essais, chapitre xxiii.

L’empereur Auguste, estant en la Gaule, receut certain advertissement d’une coniuration que luy brassoit L. Cinna : il delibera de s’en venger, et manda pour cet effect au lendemain le conseil de ses amis. Mais la nuict d’entre deux, il la passa avecques grande inquietude, considerant qu’il avoit à faire mourir un jeune homme de bonne maison et nepveu du grand Pompeius, et produisoit en se plaignant plusieurs divers discours : « Quoy doncques, disoit il, sera il vray que ie demeureray en crainte et en alarme, et que ie lairray mon meurtrier se promener ce pendant à son ayse ? S’en ira il quitte, ayant assailly ma teste, que i’ay sauvee de tant de guerres civiles, de tant de battailles par mer et par terre, et aprez avoir estably la paix universelle du monde ? sera il absoult, ayant deliberé non de me meurtrir seulement, mais de me sacrifier ? » car la coniuration estoit faicte de le tuer comme il feroit quelque sacrifice. Aprez cela, s’estant tenu coy quelque espace de temps, il recommenceoit d’une voix plus forte, et s’en prenoit à soy mesme : « Pourquoy vis tu, s’il importe à tant de gents que tu meures ? N’y aura il point de fin à tes vengeances et à tes cruautez ? Ta vie vault elle que tant de dommage se face pour la conserver ? » Livia, sa femme, le sentant en ces angoisses : « Et les conseils des femmes y seront ils receus ? lui dict elle :

  1. Cet extrait des Essais de Montaigne ne se trouve que dans la première édition d’Horace. Corneille ne l’a pas reproduit à la suite de l’extrait latin, dans ses recueils de 1648-1656. Il tiendra lieu ici d’une traduction du morceau de Sénèque.