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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/61

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NOTICE.

Estimer de tous deux la vertu sans seconde,
Qui passeroient ici pour gens de l’autre monde,
Et se feroient siffler si dans un entretien
Ils étoient si grossiers que d’en dire du bien[1].


Mais ces vers sont de Corneille, qui souffrait sans doute de ce que le Cid, quoique vivement admiré, avait cessé d’être le constant sujet de toutes les conversations. Il est évident d’ailleurs que le poëte ne tenait pas à être pris au mot, et en 1660 il eut le bon goût de supprimer cette allusion un peu trop personnelle.

Quoique tout le monde ait donné tort aux adversaires du Cid, leurs critiques ont exercé sur cet ouvrage une fâcheuse influence qui n’est pas encore dissipée. D’abord ils ont arraché à Corneille quelques vers malencontreux, qui, bien qu’inférieurs à ceux qu’ils étaient destinés à remplacer, ont dû nécessairement prendre place dans son texte définitif. Ensuite ils ont enhardi par leurs attaques les reviseurs, les correcteurs, gens qui n’ont pas besoin d’être encouragés.

En effet, aucun produit de l’intelligence humaine n’est d’une perfection absolue ; est-ce une raison pour porter une main audacieuse sur tous les chefs-d’œuvre de notre littérature ? Le cinquième acte d’Horace a été regardé avec assez de raison comme contenant une action nouvelle, différente de celle qui fait le sujet des quatre premiers ; a-t-on cru pour cela devoir le supprimer ? Quelques délicats ont blâmé les dénoûments des Femmes savantes et de Tartufe, mais ils ne se sont pas avisés d’en imaginer d’autres. Par quelle fatalité en a-t-il été différemment à l’égard du Cid, qui méritait à double titre d’être respecté, d’abord comme un poëme incomparable, puis comme un des plus précieux monuments de l’histoire de notre théâtre ?

Cela ne peut tenir qu’à deux causes : à l’habitude dès longtemps contractée par le public de considérer le Cid, malgré toutes ses beautés, comme une pièce remplie d’imperfections, et peut-être aussi à la supériorité même des principales scènes, qui fait paraître le reste froid et languissant. On voulut rendre à Corneille le fâcheux service de supprimer de son ouvrage tout ce qui n’atteignait pas au sublime. En 1734 parut un petit volume de format in-12, intitulé : Pièces dramatiques

  1. Le Menteur, acte I, scène i. Variante des éditions de 1644-1656.