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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/82

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LE CID.

beaux vers des pensées qui semblent ne pouvoir être produites du seul esprit humain[1]. » Ô l’excellent philosophe, qui découvre bien la nature des choses ! Je ne m’étonne plus s’il ne fait point conscience de manquer de jugement en toutes ses pièces : il croit la fureur de l’essence du poëte ; voilà un parfait raisonnement. Si je voulois bien l’empêcher, je lui demanderois ce que c’est qu’une fureur divine ; mais je me contenterai de le prier, puisqu’il prétend avoir droit à l’héritage du Parnasse, qu’il nous cite quelques-unes de ses pensées aussi hautes comme il définit devoir être celles du véritable poëte. Quant à moi, j’en remarque beaucoup dans ses livres qui ne peuvent être produites de l’esprit humain, tant elles sont extravagantes, mais je n’y en ai point encore découvert qui passent la portée d’un esprit médiocre, foible et rampant comme le sien.

Cependant il nous étale pour poëmes dramatiques parfaitement beaux : le Pastor fido, la Filis de Scire, et cette malheureuse Silvanire que le coup d’essai de M. Corneille terrassa dès sa première représentation[2]. Il excuse encore fort adroitement la longueur du cinquième acte de cette admirable pièce, sur ce qu’elle étoit faite pour l’hôtel de Montmorency plutôt que pour celui de Bourgogne, comme si les mauvaises choses y étoient mieux reçues[3]. Sans doute il s’est imaginé qu’elle

  1. La première division de cette préface, intitulée : Du poete et de ses parties, commence ainsi : « Poëte proprement est celui-là qui doué d’une excellence d’esprit et poussé d’une fureur divine, explique en beaux vers des pensées qui semblent ne pouvoir pas être produites du seul esprit humain. »
  2. « Disons donc que les anciens nous ont laissé des poëmes beaucoup moins remplis à la vérité que ne sont les nôtres, tant pour la raison que je viens d’apporter, que pour quelque autre à nous inconnue, et qu’on n’infère pas de là que la rigueur de notre règle en ait été la principale cause, comme veulent quelques-uns de ces Messieurs, qui n’ont point envie de la recevoir. D’autant que nous ne pouvons croire cela sans faire tort à ces grands esprits de l’antiquité, qui sembleroient avoir eu moins d’invention en la composition de leurs sujets, que nos modernes dramatiques, qui, nonobstant la difficulté de cette loi, n’ont pas laissé d’en imaginer de parfaitement beaux et parfaitement agréables, tels que sont par exemple le Pastor fido, la Filis de Scire et, sans aller plus loin, la Silvanire ou la Morte vive. »
  3. « Pour son étendue, il est vrai qu’elle passe un peu au delà de