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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/97

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AVERTISSEMENT.

mais été de mon consentement qu’ils en ont jugé, et que peut-être je l’aurois justifié sans beaucoup de peine, si la même raison qui les a fait parler ne m’avoit obliqé à me taire. Aristote ne s’est pas expliqué si clairement dans sa Poétique, que nous n’en puissions faire ainsi que les philosophes, qui le tirent chacun à leur parti dans leurs opinions contraires ; et comme c’est un pays inconnu pour beaucoup de monde, les plus zélés partisans du Cid en ont cru ses censeurs sur leur parole, et se sont imaginé avoir pleinement satisfait à toutes leurs objections, quand ils ont soutenu qu’il importoit peu qu’il fût selon les règles d’Aristote, et qu’Aristote en avoit fait pour son siècle et pour des Grecs, et non pas pour le nôtre et pour des François.

Cette seconde erreur, que mon silence a affermie, n’est pas moins injurieuse à Aristote qu’à moi. Ce grand homme a traité la poétique avec tant d’adresse et de jugement, que les préceptes qu’il nous en a laissés[1] sont de tous les temps et de tous les peuples ; et bien loin de s’amuser au détail des bienséances[2] et des agréments, qui peuvent être divers selon que ces deux circonstances sont diverses, il a été droit aux mouvements de l’âme, dont la nature ne change point. Il a montré quelles passions la tragédie doit exciter dans celles de ses auditeurs ; il a cherché quelles conditions sont nécessaires, et aux personnes qu’on introduit, et aux événements qu’on représente, pour les y faire naître ; il en a laissé des moyens qui auroient produit leur effet partout dès la création du monde, et qui seront capables de le produire encore partout, tant qu’il y aura des théâtres et des acteurs ; et pour

  1. Var. (édit. de 1654 et de 1656) : les préceptes qu’il nous en a donnés.
  2. Var. (édit. de 1654 et de 1656) : et bien loin de s’amuser au travail des bienséances.