Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/145

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au naïf, je n’ai osé descendre de si haut sans m’assurer d’un guide[1], et me suis laissé conduire au fameux Lope de Vega[2], de peur de m’égarer dans les détours de tant d’intrigues que fait notre Menteur. En un mot, ce n’est ici qu’une copie d’un excellent original qu’il a mis au jour sous le titre de la Verdad sospechosa[3] ; et me fiant sur notre Horace, qui donne liberté de tout oser aux poëtes ainsi qu’aux peintres[4], j’ai cru que nonobstant la guerre des deux couronnes, il m’étoit permis de trafiquer en Espagne. Si cette sorte de commerce étoit un crime, il y a longtemps que je serois coupable, je ne dis pas seulement pour le Cid, où je me suis aidé de don Guillen de Castro, mais aussi pour Médée, dont je viens de parler, et pour Pompée même, où pensant me fortifier du secours de deux Latins, j’ai pris celui de deux Espagnols, Sénèque et Lucain étant tous deux de Cordoue. Ceux qui ne voudront pas me pardonner cette intelligence avec nos ennemis approuveront du moins que je pille chez eux ; et soit qu’on fasse passer ceci pour un larcin ou pour un emprunt, je m’en suis trouvé si bien, que je n’ai pas envie que ce soit le dernier que je ferai chez eux. Je crois que vous en serez d’avis, et ne m’en estimerez pas moins.

Je suis,

MONSIEUR,
Votre très-humble serviteur,
Corneille.

  1. Var. (édit. de 1648-1656) : sans m’assurer d’une guide.
  2. Voyez ci-dessus la Notice, p. 119, et plus bas l’Examen, p. 137.
  3. Var. (édit. de 1644 in-12 et de 1648-1656) : de la sospechosa Verdad.
  4. Pictoribus atque poetis
    Quidlibet audendi semper fuit æqua potestas
    .

    (Art poétique, vers 9 et 10.)