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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/265

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une pensée inachevée, qui ne s’explique qu’à l’aide de l’espagnol, où elle est complète. Il est vrai que Corneille donne plus loin une indication de scène, comme par réminiscence de ce moyen perdu : c’est pendant le récit du prétendu mariage de Poitiers ; on lit après le vers 663 : Ici Clarice les voit de sa fenêtre ; et Lucrèce, avec Isabelle, les voit aussi de la sienne. Mais cet incident muet est si insignifiant et si peu compris qu’on le retranche à la représentation sans nul inconvénient. Quand, pour expliquer sa demande matrimoniale, Géronte dit de son fils :

« Je cherche à l’arrêter, parce qu’il m’est unique[1], »

on comprend de même par l’espagnol, à l’aide de ce qui précède, qu’en fixant l’état de ce fils qui lui reste, Géronte obéit à peu près aux motifs de prudence que don Beltran a fait connaître plus clairement.

IX.

La scène suivante a d’autres défauts, qui proviennent de même de cette imitation en raccourci d’un modèle où il n’y a rien de trop. Comparons donc avec le texte, pour comprendre ce que la copie a d’équivoque et de forcé : car ce n’est pas toujours de changements qu’il s’agit, c’est parfois de contre-sens.

Jacinte est une jeune fille à marier, d’une physionomie agréable et vraie, quoique peu sentimentale, nuance qui n’allait pas au pinceau de Corneille : aussi la rend-il d’une manière bien dure quand il prête à ce personnage une forte tirade déclamatoire sur les mariages mal assortis[2], et surtout des vers tels que ceux-ci au sujet de son premier prétendant :

« Oui, je le quitterois ; mais pour ce changement
« Il me faudroit en main avoir un autre amant[3]. »

« Car Alcippe, après tout, vaut toujours mieux que rien[4]. »

Or pourquoi Jacinte est-elle accessible à de nouvelles propositions, en y mettant la forme naturelle et décente de l’espagnol ? C’est que depuis deux ans son accordé Juan de Sosa la fait attendre, parce qu’une bonne commanderie de Calatrava, indispensable à leur établissement, éprouve en cour des retards presque décourageants, et qu’après tout on ne veut pas rester fille. Corneille, embarrassé pour

  1. Acte II, scène i, vers 398.
  2. Acte II, scène ii, vers 404 et suivants.
  3. Ibidem, vers 443 et 444.
  4. Ibidem, vers 448. Voyez aussi les vers 464 et 465.