Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/394

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Et que tant de faveurs dessus lui répandues
Sur un indigne objet ne sont pas descendues.
Je ne vous redis point combien il m’étoit doux
De vous connoître enfin et de loger chez vous,
1705Ni comme avec transport je vous ai rencontrée :
Par cette porte, hélas ! mes maux ont pris entrée,
Par ce dernier bonheur mon bonheur s’est détruit ;
Ce funeste départ en est l’unique fruit,
Et ma bonne fortune, à moi-même contraire,
1710Me fait perdre la sœur par la faveur du frère.
Le cœur enflé d’amour et de ravissement,
J’allois rendre à Philiste un mot de compliment ;
Mais lui tout aussitôt, sans le vouloir entendre :
« Cher ami, m’a-t-il dit, vous logez chez Cléandre,
1715Vous aurez vu sa sœur : je l’aime, et vous pouvez
Me rendre beaucoup plus que vous ne me devez :
En faveur de mes feux parlez à cette belle ;
Et comme mon amour a peu d’accès chez elle,
Faites l’occasion quand je vous irai voir. »
1720À ces mots j’ai frémi sous l’horreur du devoir.
Par ce que je lui dois jugez de ma misère[1] :
Voyez ce que je puis et ce que je dois faire.
Ce cœur qui le trahit, s’il vous aime aujourd’hui,
Ne vous trahit pas moins s’il vous parle pour lui.
1725Ainsi, pour n’offenser son amour ni le vôtre,
Ainsi, pour n’être ingrat ni vers l’un ni vers l’autre,
J’ôte de votre vue un amant malheureux,
Qui ne peut plus vous voir sans vous trahir tous deux[2] :
Lui, puisqu’à son amour j’oppose ma présence ;

  1. Var. Par ce que je lui dois jugez, dans ma misère,
    Ce que j’ai dû promettre et ce que je dois faire. (1645-56)
  2. Var. Puisque même à vous voir je vous trahis tous deux :
    Lui, soutenant vos feux, avecque ma présence ;
    Vous, parlant pour Philiste, avecque mon silence. (1645-56)