Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/430

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On s’étonnera peut-être de ce que j’ai donné à cette tragédie le nom de Rodogune plutôt que celui de Cléopatre, sur qui tombe toute l’action tragique, et même on pourra douter si la liberté de la poésie peut s’étendre jusqu’à feindre un sujet entier sous des noms véritables, comme j’ai fait ici, où depuis la narration du premier acte, qui sert de fondement au reste, jusques aux effets qui paroissent dans le cinquième, il n’y a rien que l’histoire avoue.

Pour le premier, je confesse ingénument que ce poëme devoit plutôt porter le nom de Cléopatre que de Rodogune ; mais ce qui m’a fait en user ainsi, a été la peur que j’ai eue qu’à ce nom le peuple ne se laissât préoccuper des idées de cette fameuse et dernière reine d’Égypte, et ne confondît cette reine de Syrie avec elle, s’il l’entendoit prononcer. C’est pour cette même raison que j’ai évité de le mêler dans mes vers, n’ayant jamais fait parler de cette seconde Médée que sous celui de la Reine ; et je me suis enhardi à cette licence d’autant plus librement, que j’ai remarqué parmi nos anciens maîtres qu’ils se sont fort peu mis en peine de donner à leurs poëmes le nom des héros qu’ils y faisoient paroître, et leur ont souvent fait porter celui des chœurs, qui ont encore bien moins de part dans l’action que les personnages épisodiques, comme Rodogune : témoin les Trachiniennes de Sophocle[1], que nous n’aurions jamais voulu nommer autrement, que la Mort d’Hercule.

Pour le second point, je le tiens un peu plus difficile à résoudre, et n’en voudrois pas donner mon opinion pour bonne : j’ai cru que, pourvu que nous conservassions les effets de l’histoire, toutes les circonstances, ou, comme je viens de les nommer, les acheminements,

  1. Le chœur de cette tragédie est composé de jeunes filles de Trachine, amies et compagnes de Déjanire.