Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/463

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LAONICE.

440J’attends avec eux tous celui de leur naissance.

CLÉOPATRE.

Pour un esprit de cour, et nourri chez les grands,
Tes yeux dans leurs secrets sont bien peu pénétrants.
Apprends, ma confidente, apprends à me connoître.
Si je cache en quel rang le ciel les a fait naître,
445Vois, vois que tant que l’ordre en demeure douteux,
Aucun des deux ne règne, et je règne pour eux :
Quoique ce soit un bien que l’un et l’autre attende,
De crainte de le perdre aucun ne le demande ;
Cependant je possède, et leur droit incertain
450Me laisse avec leur sort leur sceptre dans la main :
Voilà mon grand secret. Sais-tu par quel mystère
Je les laissois tous deux en dépôt chez mon frère ?

LAONICE.

J’ai cru qu’Antiochus les tenoit éloignés
Pour jouir des États qu’il avoit regagnés.

CLÉOPATRE.

455Il occupoit leur trône, et craignoit leur présence,
Et cette juste crainte assuroit ma puissance.
Mes ordres en étoient de point en point suivis,
Quand je le menaçois du retour de mes fils :
Voyant ce foudre prêt à suivre ma colère,
460Quoi qu’il me plût oser, il n’osoit me déplaire ;
Et content malgré lui du vain titre de roi,
S’il régnoit au lieu d’eux, ce n’étoit que sous moi.
Je te dirai bien plus : sans violence aucune
J’aurois vu Nicanor épouser Rodogune,
465Si content de lui plaire et de me dédaigner[1],
Il eût vécu chez elle en me laissant régner.

  1. Var. Si content d’en jouir et de me dédaigner,
    Il eût vécu chez elle, et m’eût laissé régner. (1647-56)