Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 5.djvu/437

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Et d’un mot satisfaire aux plus ardents souhaits
Que poussent vers le ciel vos fidèles sujets.

DONA ISABELLE

Dites, dites plutôt qu’aujourd’hui, grandes reines,
Je m’impose à vos yeux la plus dure des gênes,
Et fais dessus moi-même un illustre attentat
Pour me sacrifier au repos de l’état.
Que c’est un sort fâcheux et triste que le nôtre,
De ne pouvoir régner que sous les lois d’un autre ;
Et qu’un sceptre soit cru d’un si grand poids pour nous,
Que pour le soutenir il nous faille un époux !
À peine ai-je deux mois porté le diadème,
Que de tous les côtés j’entends dire qu’on m’aime,
Si toutefois sans crime et sans m’en indigner
Je puis nommer amour une ardeur de régner.
L’ambition des grands à cet espoir ouverte
Semble pour m’acquérir s’apprêter à ma perte ;
Et pour trancher le cours de leurs dissensions,
Il faut fermer la porte à leurs prétentions ;
Il m’en faut choisir un ; eux-mêmes m’en convient,
Mon peuple m’en conjure, et mes états m’en prient ;
Et même par mon ordre ils m’en proposent trois,
Dont mon cœur à leur gré peut faire un digne choix.
Don Lope de Gusman, Dom Manrique de Lare,
Et Dom Alvar de Lune, ont un mérite rare ;
Mais que me sert ce choix qu’on fait en leur faveur,
Si pas un d’eux enfin n’a celui de mon cœur ?

DONA LÉONOR

On vous les a nommés, mais sans vous les prescrire ;
On vous obéira, quoi qu’il vous plaise élire :
Si le cœur a choisi, vous pouvez faire un roi.

DONA ISABELLE

Madame, je suis reine, et dois régner sur moi.
Le rang que nous tenons, jaloux de notre gloire,