Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/111

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Hâte-toi de venger ce ministre fidèle :
C’est toi qu’à sa vengeance en mourant il appelle.
Signale ton amour, et parois aujourd’hui,
S’il fut digne de toi, plus digne encore de lui.
1775Mais cesse désormais de traiter d’imposture
Les traits que sur mon front imprime la nature.
Milan m’a vu passer, et partout en passant
J’ai vu couler ses pleurs pour son prince impuissant ;
Tu lui déguiserois en vain ta tyrannie :
1780Pousses-en jusqu’au bout l’insolente manie ;
Et quoi que ta fureur te prescrive pour moi,
Ordonne de mes jours comme de ceux d’un roi.

GRIMOALD.

Oui, tu l’es en effet, et j’ai su te connoître,
Dès le premier moment que je t’ai vu paroître.
1785Si j’ai fermé les yeux, si j’ai voulu gauchir,
Des maximes d’État j’ai voulu t’affranchir,
Et ne voir pas ma gloire indignement trahie


    PERTH. Si tu peux en douter, qu’on l’apporte à tes yeux ;

    Tu verras de quel coup j’ai tranché cette vie
    Si brillante de gloire et si digne d’envie.
    Je ne te dirai point qui m’a facilité
    Pour un moment ou deux ce peu de liberté :
    Il suffit que le duc, instruit par un perfide,
    Que mon libérateur m’avoit donné pour guide,
    M’attendoit à main-forte ; et me fermant le pas :
    « À lui seul, à lui seul, mais ne le blessons pas,
    Dit-il, et réservons tout son sang aux supplices. »
    Soudain environné de ses lâches complices,
    Que cet ordre reçu forçoit à m’épargner
    Jusqu’à baisser l’épée et me trop dédaigner,
    À travers ces méchants je m’ouvre le passage ;
    Et portant jusqu’à lui l’effort de mon courage,
    Je lui plonge trois fois un poignard dans le sein,
    Avant qu’on puisse voir ou rompre mon dessein.
    Ses gens en vouloient prendre une prompte vengeance
    Mais lui-même, en tombant, leur en fait la défense,
    [Et son dernier soupir est un ordre nouveau]
    De garder tout mon sang à la main d’un bourreau.
    C’est à toi de venger ce ministre fidèle. (1653-56)