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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/160

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ŒDIPE

S’il a de la naissance, il a quelque foiblesse ;
Et le peuple du moins pourrait se partager,
Si dans quelque attentat il osait l’engager ;
Mais un prince voisin, tel que tu vois Thésée,
270Feroit de ma couronne une conquête aisée,
Si d’un pareil hymen le dangereux lien
Armoit pour lui son peuple et soulevoit le mien.
Athènes est trop proche, et durant une absence
L’occasion qui flatte anime l’espérance ;
275Et quand tous mes sujets me garderoient leur foi,
Désolés comme ils sont, que pourroient-ils pour moi ?
La Reine a pris le soin d’en parler à sa fille.
Aemon est de son sang, et chef de sa famille ;
Et l’amour d’une mère a souvent plus d’effet
280Que n’ont… Mais la voici ; sachons ce qu’elle a fait.


Scène IV

.
ŒDIPE, JOCASTE, CLÉANTE, NÉRINE.
Jocaste.

J’ai perdu temps, seigneur ; et cette âme embrasée
Met trop de différence entre Æmon et Thésée.
Aussi je l’avouerai, bien que l’un soit mon sang,
Leur mérite diffère encor plus que leur rang ;
285Et l’on a peu d’éclat auprès d’une personne
Qui joint à de hauts faits celui d’une couronne.

Œdipe.

Thésée est donc, Madame, un dangereux rival ?

Jocaste.

Æmon est fort à plaindre, ou je devine mal.
J’ai tout mis en usage auprès de la Princesse :
290Conseil, autorité, reproche, amour, tendresse ;
J’en ai tiré des pleurs, arraché des soupirs,