Aller au contenu

Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/183

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
169
ACTE II, SCÈNE I.

Quand on aime et qu’on est aimée.
L’honneur, en monarque absolu,
Soutient ce qu’il a résolu
805Contre les assauts qu’on te livre.
Il est beau de mourir pour en suivre les lois ;
Mais il est assez doux de vivre
Quand l’amour a fait un beau choix.

Toi qui faisois toute la joie
810Dont sa flamme osait me flatter,
Prince que j’ai peine à quitter,
À quelques honneurs qu’on m’envoie,
Accepte ce faible retour
Que vers toi d’un si juste amour
815Fait la douloureuse tendresse.
Sur les bords de la tombe où tu me vois courir,
Je crains les maux que je te laisse,
Quand je fais gloire de mourir.

J’en fais gloire, mais je me cache
820Un comble affreux de déplaisirs ;
Je fais taire tous mes désirs,
Mon cœur à soi-même s’arrache[1].
Cher prince, dans un tel aveu,
Si tu peux voir quel est mon feu,
825Vois combien il se violente.
Je meurs l’esprit content, l’honneur m’en fait la loi ;
Mais j’aurais vécu plus contente,
Si j’avais pu vivre pour toi.

  1. Dans l’édition de 1692 et dans celle de Voltaire (1764) :
    Mon cœur à moi-même s'arrache.