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PERTHARITE.

uertes d’vn lit, vne coutre[1], et vne peau d’ours qui luy couuroit le dos et le visage ; et comme si c’eust esté quelque rustique ou faquin[2], commença de grande affection à le chasser à grands coups de baston hors de la chambre, et à luy faire plusieurs outrages et vilenies, tellement que chassé et ainsi battu il se laissoit choir souuent en terre : ce que voyant les gardes de Grimoald qui estoient en sentinelle à l’entour de la maison, demanderent à Vnulphe que c’estoit : « C’est, respondit-il, vn maraud de valet que i’ay, qui, outre mon commandement, m’auoit dressé mon lit en la chambre de cet yurongne Pertharite, lequel est tellement remply de vin qu’il dort comme mort ; et partant ie le frappe. » Eux entendans ces paroles, les croyant veritables, se résioüirent tous, et pensans que Pertharite fust vn valet, luy firent place et à Vnulphe, et les laisserent aller. La mesme nuict Pertharite arriua en la ville d’Ast, et de là passa les monts, et vint en France. Or comme il fut sorty, et Vnulphe apres, le fidele page auoit diligemment fermé la porte apres luy, et demeura seul dedans la chambre, là où le lendemain les messagers du Roy vindrent pour mener Pertharite au palais ; et ayans frappé à l’huis, le page prioit d’attendre[3], disant : « Pour Dieu ayez pitié de luy, et laissez-le acheuer de dormir ; car estant encores lassé du chemin, il dort de profond sommeil. » Ce que luy ayans accordé, le rapporterent à Grimoald, lequel dit que tant mieux, et commanda que quoy que ce fust, on y retournast, et qu’ils l’amenassent : auquel commandement les soldats revindrent heurter de plus fort à l’huis de la chambre, et le page les pria de per-

  1. Ce mot traduit le latin culcitra ; voyez le Dictionnaire de Roquefort, aux articles Couete, Coute et Coulte, Coultre.
  2. Var. (recueil de 1656) : quelque rustique ou quelque faquin.
  3. Dans du Verdier : « le page les prioit d’attendre. »