Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/286

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Vous fera bientôt voir que rien ne les arrête, 390
Et qu’il n’est point de nœud qui les puisse obliger
À vivre sous les lois d’un monarque étranger.
Bien que Phryxus m’aimât avec quelque tendresse,
Je l’ai vu mille fois soupirer pour sa Grèce,
Et quelque illustre rang qu’il tînt dans vos États, 395
S’il eût eu l’accès libre en ces heureux climats,
Malgré ces beaux dehors d’une ardeur empressée,
Il m’eût fallu l’y suivre, ou m’en voir délaissée.
Il semble après sa mort qu’il revive en ses fils ;
Comme ils ont même sang, ils ont mêmes esprits : 400
La Grèce en leur idée est un séjour céleste,
Un lieu seul digne d’eux. Par là jugez du reste.

Aæte.

Faites-les-moi venir : que de leur propre voix
J’apprenne les raisons de cet injuste choix.
Et quant à ces guerriers que nos Dieux tutélaires 405
Au salut de l’État rendent si nécessaires,
Si pour les obliger à vivre mes sujets
Il n’est point dans ma cour d’assez dignes objets,
Si ce nom sur leur front jette tant d’infamie
Que leur gloire en devienne implacable ennemie, 410
Subornons[1] cette gloire, et voyons dès demain
Ce que pourra sur eux le nom de souverain.
Le trône a ses liens ainsi que l’hyménée,
Et quand ce double nœud tient une âme enchaînée,
Quand l’ambition marche au secours de l’amour, 415
Elle étouffe aisément tous ces soins du retour.
Elle triomphera de cette idolâtrie
Que tous ces grands guerriers gardent pour leur patrie.
Leur Grèce a des climats et plus doux et meilleurs ;
Mais commander ici vaut bien servir ailleurs. 420

  1. Subornons, séduisons. Voyez le Lexique.