Pour m’avoir de mes bras enlevé mon époux !
Mais, dis-moi, ta Médée est-elle si parfaite ?
Ce que cherche Jason vaut-il ce qu’il rejette ?
Malgré ton cœur changé, j’en fais juges tes yeux.
Tu soupires en vain, il faut t’expliquer mieux :
Ce soupir échappé me dit bien quelque chose ;
Toute autre l’entendroit ; mais sans toi je ne l’ose.
Parle donc et sans feinte : où porte-t-il ta foi ?
Va-t-il vers ma rivale, ou revient-il vers moi[1] ?
Osez autant qu’une autre ; entendez-le, Madame,
Ce soupir qui vers vous pousse toute mon âme[2] ;
Et concevez par là jusqu’où vont mes malheurs,
De soupirer pour vous, et de prétendre ailleurs.
Il me faut la toison : il y va de la vie
De tous ces demi-dieux que brûle même envie ;
Il y va de ma gloire, et j’ai beau soupirer,
Sous cette tyrannie il me faut expirer.
J’en perds tout mon bonheur, j’en perds toute ma joie ;
Mais pour sortir d’ici je n’ai que cette voie ;
Et le même intérêt qui vous fit consentir,
Malgré tout votre amour, à me laisser partir,
Le même me dérobe ici votre couronne.
Pour faire ma conquête, il faut que je me donne,
Que pour l’objet aimé j’affecte des mépris,
Que je m’offre en esclave, et me vende à ce prix :
Voilà ce que mon cœur vous dit quand il soupire.
Ne me condamnez plus, Madame, à le redire :
Si vous m’aimez encor, de pareils entretiens
Peuvent aigrir vos maux et redoublent les miens ;