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ACTE I, SCÈNE I

Mourant entre leurs bras, fit ce partage entre eux :
Il vit en Pertharite une âme trop royale
40Pour ne lui pas laisser une fortune égale ;
Et vit en Gundebert un cœur assez abjet[1]Ce mot est toujours écrit ainsi par Corneille, qui ne fait en cela que se conformer à l’usage général de son temps.
Pour ne mériter pas son frère pour sujet.
Ce n’est pas attenter aux droits d’une couronne
Qu’en conserver la part qu’un père nous en donne ;
45De son dernier vouloir c’est se faire des lois,
Honorer sa mémoire, et défendre son choix.

UNULPHE.

Puisque vous le voulez, j’excuse son courage ;
Mais condamnez du moins l’auteur de ce partage,
Dont l’amour indiscret pour des fils généreux,
50Les faisant tous deux rois, les a perdus tous deux.
Ce mauvais politique avoit dû reconnoître
Que le plus grand État ne peut souffrir qu’un maître,
Que les rois n’ont qu’un trône et qu’une majesté,
Que leurs enfants entre eux n’ont point d’égalité,
55Et qu’enfin la naissance a son ordre infaillible,
Qui fait de leur couronne un point indivisible.

RODELINDE.

Et toutefois le ciel par les événements
Fit voir qu’il approuvoit ses justes sentiments.
Du jaloux Gundebert l’ambitieuse haine
60Fondant sur Pertharite, y trouva tôt sa peine.
Une bataille entre eux vidoit leur différend ;
Il en sortit défait, il en sortit mourant :
Son trépas nous laissoit toute la Lombardie,
Dont il nous envioit une foible partie ;
65Et j’ai versé des pleurs qui n’auroient pas coulé,
Si votre Grimoald ne s’en fût point mêlé.
Il lui promit vengeance, et sa main plus vaillante

  1. Voyez tome I, p. 169, note 1.